Les fêtes sacrées empreintes de violence en Terre sainte

Alors que l’économie israélienne est en plein essor, la plupart des citoyens palestiniens d’Israël sont laissés pour compte (Photo, Reuters).
Alors que l’économie israélienne est en plein essor, la plupart des citoyens palestiniens d’Israël sont laissés pour compte (Photo, Reuters).
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Publié le Vendredi 22 avril 2022

Les fêtes sacrées empreintes de violence en Terre sainte

Les fêtes sacrées empreintes de violence en Terre sainte
  • L’expansion des colonies et les avantages dont bénéficient les colons sont source d’indignation et de ressentiment profonds
  • Sans volonté de négocier, les répercussions d’une confrontation violente marqueront inévitablement le paysage politique

Il est affligeant de constater que les trois fêtes sacrées des trois religions monothéistes, qui se chevauchent cette année, sont source de tensions et de violences, au lieu de jouer un rôle moteur qui consiste à promouvoir le dialogue interreligieux et de rechercher ensemble la paix en Terre sainte. Cela aurait pu être au contraire l’occasion de méditer sur la façon dont la religion pourrait devenir un moyen de sortir de l’impasse en apportant enfin la paix à ce conflit vieux de plus d’un siècle. Cependant, c’est la même dynamique négative qui prévaut et selon laquelle ceux qui ont les points de vue extrêmes les imposent à tout le monde. Il y a un an seulement, des événements similaires ont conduit à un bain de sang prolongé en Terre sainte.

Cette année, les jours saints du ramadan, de Pessah et de Pâques sont tous célébrés en même temps. Dans les semaines précédant ces fêtes religieuses, la terreur est revenue dans les rues d’Israël, avec une violence et un rythme inouïs, jamais vus depuis 2015. Quatorze Israéliens et cinq militants palestiniens ont été tués lors de quatre incidents distincts, qui varient selon les assaillants et les méthodes utilisées.

De plus, vendredi dernier, des fidèles de la mosquée Al-Aqsa ont affronté les forces de sécurité israéliennes, après qu’un groupe d’extrémistes juifs ont délibérément attisé leur colère. Cela a encouragé les militants à se rendre sur le mont du Temple pour le sacrifice rituel de l’offrande de Pessah, sachant que toute tentative de changer le statu quo ne pouvait que provoquer les fidèles musulmans. Ces événements amènent de nombreuses personnes à se demander si les Israéliens et les Palestiniens sont au bord d’un affrontement qui pourrait conduire aux mêmes hostilités qu’un an auparavant.

En regardant de près les événements violents de ces dernières semaines, l’on pourrait se demander ce que ces attaques distinctes, où des assaillants palestiniens ont tué des Israéliens au hasard, y compris des Palestiniens en Israël, ont en commun. L’un des tueurs est un Bédouin du Néguev, dans le sud du pays. Deux hommes armés sont responsables d’une autre attaque. Ils viennent de la ville d’Umm al-Fahm, dans le nord d’Israël. Concernant les deux autres incidents, les militants sont originaires de la région de Jénine en Cisjordanie occupée.

Certains terroristes ont revendiqué leur allégeance à Daech, tandis que d’autres sont associés au Hamas et au Fatah. Malgré cette diversité d’horizons, ils mettent tous en évidence la détérioration des relations entre Israël et les Palestiniens, tant à l’intérieur d’Israël que dans les territoires occupés. Ces relations ont peu de chances de s’améliorer au moment où les systèmes politiques israélien et palestinien restent faibles et fragmentés et que la communauté internationale a perdu tout intérêt pour ce conflit.

Lorsqu’on écrit sur les attentats terroristes, on s’attend généralement à un communiqué qui condamne le meurtre d'innocents, avant d’examiner les allégeances et les objectifs des assaillants. Poignarder au hasard des gens dans les rues ou les bars au nom d’une idéologie erronée ou d’une vision déformée de la religion ne peut en aucun cas être toléré. Même si cela naît de l’illusion d’un changement politique en faveur de ceux au nom desquels ils prétendent agir, d’un certain désespoir ou encore d’une envie de venger des actes répréhensibles.

Bien que les récents actes de violence n’aient pas été perpétrés par des kamikazes, il n’y avait guère de doute sur la mort inévitable des auteurs de ces crimes, ce qui indique tout leur désespoir. Cependant, condamner et rejeter leurs actes est une chose; comprendre leurs causes profondes et les conditions qui conduisent au militantisme en est une autre.

Au sein de la majorité juive du pays, le gouvernement israélien, le régime sécuritaire et le grand public vivent constamment dans l’illusion de ne jouer aucun rôle dans le désespoir de tant de Palestiniens, qui pousse certains d’entre eux à rejoindre les rangs des islamistes radicaux et une toute petite minorité à recourir à la violence. Dans un récent sondage d’opinion auprès des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, il est inquiétant de constater, qu’en raison de l'impasse totale de tout engagement en faveur de la solution à deux États – bien que près de la moitié des personnes interrogées la soutiennent –, il existe un plus grand soutien à la lutte armée pour promouvoir leurs aspirations nationales.

Ce que l’on considère comme un statu quo dans les relations israélo-palestiniennes est, en réalité, loin de l’être. Nous assistons plutôt à une dégradation permanente du statut politique et du bien-être de la plupart des Palestiniens qui vivent entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Ils voient non seulement leur espoir de vivre un jour dans une Palestine indépendante s’évanouir progressivement, mais leurs droits humains, politiques et civils sont également constamment restreints.

«Certes, le terrorisme est une horreur, comme tout meurtre d’innocents, mais cela devrait également être vrai lorsqu’il s’agit de la vie des Palestiniens, tués par les forces de sécurité israéliennes et les colons.» - Yossi Mekelberg

Alors que l’économie israélienne est en plein essor, la plupart des citoyens palestiniens d’Israël sont laissés pour compte et ceux qui vivent en Cisjordanie connaissent une détérioration des conditions de vie, sauf s’il s’agit de colons juifs. La législation discriminatoire, adoptée ces dernières années contre les Palestiniens israéliens, est scandaleuse, car elle en fait des citoyens de seconde zone dans une démocratie et elle contredit la philosophie du pays.

De l’autre côté de la ligne verte, l’expansion des colonies et les avantages dont bénéficient les colons, sans compter la violence que certains d’entre eux infligent aux Palestiniens, sont source d’indignation et de ressentiment profonds. Par-dessus tout, l’occupation même de la Cisjordanie et le blocus imposé à Gaza sont une forme de violence quotidienne et cruelle, avec des manifestations encore plus horribles menées en toute impunité par certains membres des forces de sécurité contre des Palestiniens innocents.

À l’intérieur d’Israël, y compris à Umm al-Fahm et au sein des communautés bédouines, la négligence à l’égard des Palestiniens vivant en Israël par les gouvernements successifs depuis la création du pays est abominable. Les services publics sont nettement plus réduits que ceux dont bénéficient les communautés juives.

Pendant des années, tout le monde savait que des criminels accumulaient des armes à feu et des munitions dans la communauté israélo-palestinienne, mais la police n’a presque rien fait pour arrêter le nombre croissant de meurtres, tant que ces armes étaient utilisées contre d’autres membres des communautés arabes. Cette attitude n’a changé qu’à partir du moment où ces dernières ont été utilisées contre des juifs lors des émeutes de l’année dernière.

Certes, le terrorisme est une horreur, comme tout meurtre d’innocents, mais cela devrait également être vrai lorsqu’il s’agit de la vie des Palestiniens, tués par les forces de sécurité israéliennes et les colons. Sans volonté de négocier la désescalade entre Israël et les Palestiniens, notamment l’arrêt de l’expansion des colonies et l’amélioration de la vie des Palestiniens, les répercussions d’une confrontation violente marqueront inévitablement le paysage politique.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com