Israël recourt de plus en plus à la détention administrative des Palestiniens

Khalil Awawdeh à l’hôpital Assaf Harofeh, à Be’er Ya’akov, en Israël, le 24 août 2022. (Photo AP)
Khalil Awawdeh à l’hôpital Assaf Harofeh, à Be’er Ya’akov, en Israël, le 24 août 2022. (Photo AP)
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Publié le Jeudi 08 septembre 2022

Israël recourt de plus en plus à la détention administrative des Palestiniens

Israël recourt de plus en plus à la détention administrative des Palestiniens
  • Dans la psyché israélienne, toutes les formes de résistance, violentes ou pacifiques, à ses cinquante-cinq ans d’occupation oppressive, sont illégales
  • La détention administrative est utilisée non seulement pour freiner la lutte armée, mais aussi dans le cadre d’une stratégie globale visant à dissuader les Palestiniens de lutter de manière légitime pour l’autodétermination

Khalil Awawdeh est un Palestinien originaire de la Cisjordanie occupée, âgé de quarante ans et père de quatre enfants. La semaine dernière, il a mis fin à une grève de la faim qui a duré six mois, après que les autorités israéliennes ont accepté de mettre fin à son arrestation administrative.

Des médecins et des avocats avaient averti que M. Awawdeh risquait de mourir. En effet, son poids était tombé à 37 kg et il souffrait déjà de graves lésions neurologiques. Son cas met en évidence le phénomène plus large et inquiétant des détenus administratifs, qui passent de longues périodes derrière les barreaux sans être reconnus coupables d’aucun crime et sans que des charges ne soient retenues contre eux. Au mieux, ils sont suspects, tout comme Khalil Awawdeh qui, selon Israël, serait membre du Djihad islamique – une allégation qu’il nie.

Dans le monde des euphémismes, la «détention administrative» occupe une place importante parmi les violations flagrantes des droits de l’homme – soit l’emprisonnement de personnes pour une durée éventuellement indéterminée simplement parce que les autorités israéliennes n’ont pas les preuves nécessaires pour porter l’affaire devant les tribunaux. Par conséquent, l’organisation non gouvernementale (ONG) baptisée «Mouvement pour la liberté d’information en Israël» et Tal Frank, une étudiante en droit, méritent d’être remerciées d’avoir intenté une action en justice afin de forcer l’État à révéler le nombre de Palestiniens qui sont actuellement en détention administrative. Le chiffre est inquiétant: sept cent vingt-trois détenus, ce qui représente un record en quatorze ans. Il n’y a pas de quoi se vanter, surtout pour un pays qui se décrit fièrement comme une démocratie.

Parmi les piliers de tout système judiciaire figurent la présomption d’innocence jusqu’à preuve du contraire et le fait que la culpabilité soit décidée par une Cour de justice. Pour ces sept cent vingt-trois détenus palestiniens – dont onze citoyens arabes d’Israël –, la présomption d’innocence a été jetée aux orties, parfois pendant une longue période. Il convient de mentionner qu’aux yeux de la loi, ces personnes n’ont commis aucune infraction. Au mieux, il pourrait y avoir des preuves recueillies par les forces de sécurité, mais elles n’ont pas été examinées par un tribunal devant un juge, et certainement pas en toute transparence.

De toute évidence, le gouvernement israélien a un devoir de diligence envers son peuple et il doit le défendre contre les actes de militantisme. Néanmoins, dans la psyché israélienne, toutes les formes de résistance, violentes ou pacifiques, à ses cinquante-cinq ans d’occupation oppressive, sont illégales. La détention administrative est utilisée non seulement pour freiner la lutte armée, mais aussi dans le cadre d’une stratégie globale visant à dissuader les Palestiniens de lutter de manière légitime pour l’autodétermination et le droit de vivre librement et dignement.

Quelle que soit la définition de la procédure régulière, sans parler de la justice, la démarche approuvée pour la détention administrative ressemble à une opération douteuse au moyen de laquelle une personne est incarcérée pendant des mois, parfois des années, sans faire l’objet d’une mise en accusation et encore moins d’une condamnation. Pour priver un Palestinien de sa liberté, il suffit que le chef du Commandement central des forces de défense israéliennes signe un rapport confidentiel des services de renseignement, dont seul un résumé succinct est partagé avec l’avocat du détenu. Ensuite, le juge signe le rapport sans que le détenu soit présent.

Même dans un monde parfait dans lequel les forces de sécurité seraient toujours professionnelles et sincères, la justice naturelle exige qu’une personne détenue et dont la liberté est menacée, puisse au moins contester toute accusation portée contre elle. En effet, il est toujours possible qu’une erreur se soit produite ou, pire, que la personne soit victime d’un stratagème vicieux afin de l’éliminer de la société parce qu’elle est «gênante» pour les forces d’occupation ou leurs collaborateurs palestiniens.

Par sa définition même, la détention administrative est une mesure préventive et elle ne devrait donc être utilisée qu’en de rares occasions pour éviter une menace imminente. Après l’interrogatoire, une décision doit être prise pour savoir si les éléments de preuve justifient les poursuites judiciaires et, dans le cas contraire, le suspect doit être libéré sans délai.

La détention administrative est le visage hideux de l’occupation israélienne qui fait fi des droits des personnes en toute impunité.

Yossi Mekelberg

 

En raison d’un manque de preuves crédibles ou de l’attitude arbitraire et arrogante de ceux qui contrôlent totalement des millions de personnes en Cisjordanie, les autorités d’occupation ont conçu des mécanismes qui leur permettent d’imposer leur volonté comme elles l’entendent. En vertu d’une disposition vaguement intitulée «Décret relatif aux mesures de sécurité», les forces israéliennes prennent généralement des mesures inacceptables, notamment en menant des centaines de raids militaires dans des villes et des villages palestiniens, souvent la nuit, en photographiant des maisons et leurs occupants, et en arrêtant fréquemment quelqu’un devant sa famille intimidée et traumatisée, généralement en présence des enfants.

Lorsqu’il s’agit de détention administrative, les commandants militaires ont le pouvoir de détenir des personnes pendant une période pouvant aller jusqu'à six mois, en fonction de la menace à la sécurité que représente, selon eux, le détenu. Mais cela ne s’arrête pas là, car ces mandats d’arrêt peuvent ensuite être prolongés de six mois supplémentaires si le commandant a des «motifs raisonnables de croire» que les mêmes raisons «exigent toujours de garder la personne en détention».

Inacceptable au regard de toute norme juridique internationale, cette mascarade de procédure régulière peut se répéter indéfiniment, bien que dans la plupart des cas, l’emprisonnement dure entre six mois et deux ans. Étant donné que ces personnes n’ont été reconnues coupables d’aucune infraction, le véritable crime ici est commis par ceux qui les privent de leur droit humain fondamental, conformément à l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui stipule que «chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés» et qu’«aucune distinction ne sera faite sur la base du statut politique, juridictionnel ou international du pays ou territoire auquel une personne appartient, qu’il soit indépendant, de confiance, non autonome ou sous toute autre limitation de souveraineté».

Lorsqu’il s’agit de traiter avec les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, Israël se moque des notions de droits universels de l’homme et du respect du droit humanitaire. Au mieux, ces droits sont généralement ignorés au nom d’une perception simpliste et répressive de la sécurité. La détention administrative est le visage hideux de l’occupation israélienne qui fait fi des droits des personnes en toute impunité. Ce n’est pas le seul exemple, mais face à l’intransigeance d’Israël, le drame est que presque personne au sein de la communauté internationale n’est prêt à exprimer son mécontentement face à la situation et à appeler Israël à mettre immédiatement fin à ces pratiques.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com