Sur le plan politique, Israël évolue toujours plus vers la droite

Le chef du parti Likoud, Benjamin Netanyahou, accueille ses partisans au siège de son parti lors des élections générales (Photo, Reuters).
Le chef du parti Likoud, Benjamin Netanyahou, accueille ses partisans au siège de son parti lors des élections générales (Photo, Reuters).
Short Url
Publié le Mardi 08 novembre 2022

Sur le plan politique, Israël évolue toujours plus vers la droite

Sur le plan politique, Israël évolue toujours plus vers la droite
  • Pour ceux qui célèbrent actuellement la victoire, le défi est de gouverner le pays et de le faire sans accentuer le schisme au sein de la société israélienne
  • La montée en puissance de la droite n’est pas un hasard; c’est le résultat des politiques d’expansion des colonies, sources de frictions avec les Palestiniens

Ce qui ressort clairement des résultats des élections générales de mardi, c’est qu’Israël continue sa course effrénée vers la droite et, tragiquement pour le caractère démocratique du pays et les relations avec les Palestiniens, vers l’extrême droite.
À l’heure actuelle, il est impossible de savoir exactement quels partis formeront le prochain gouvernement de coalition et quelles personnes y occuperont des postes essentiels.
Cependant, les résultats confirment que l’ancien Premier ministre, Benjamin Netanyahou, sera appelé à former le prochain gouvernement et que le grand gagnant était le parti kahaniste, c’est-à-dire le sionisme religieux, qui adopte des positions antidémocratiques et racistes.
Ces élections ont été décisives. Le processus démocratique a doté ceux qui ne croient ni n’adhèrent aux principes les plus fondamentaux du système démocratique d’une grande puissance et influence. Pour eux, les élections sont un simple outil pour accéder au pouvoir et ensuite l’affaiblir de l’intérieur, si ce n’est le détruire complètement.
Force est de constater que le paysage sociopolitique actuel d’Israël évolue de plus en plus vers le fondamentalisme religieux, devenant plus messianique, très nationaliste et raciste – une position qui a développé une dépendance presque incompréhensible à l’égard de M. Netanyahou et qui a abandonné toute vision progressiste et ne prétend même plus vouloir un règlement juste et équitable du conflit avec les Palestiniens.
Il existe également une sorte de distorsion optique dans le résultat de cette élection qui donne l'impression d'un soutien retentissant à Benjamin Netanyahou lui-même. Pourtant, le bloc qui le soutient n’est que légèrement plus important, en termes de voix, à celui qui s’oppose à lui. Même les dirigeants d’autres partis de son propre bloc ont exprimé des opinions fermes sur sa malhonnêteté et son manque d’intégrité.
Par ailleurs, de puissants éléments de droite au sein du bloc se sont engagés à ne pas partager le pouvoir avec quelqu’un qui est actuellement jugé pour corruption, mis en examen sous trois chefs d’accusation: corruption, fraude et abus de confiance. Ils s’opposent à l’aptitude de M. Netanyahou à gouverner, mais pas nécessairement à ses opinions sur la question palestinienne.
Après ces cinquièmes élections en trois ans et demi, l’opinion publique israélienne reste profondément divisée sur l’orientation de l’État hébreu, qui fêtera dans quelques mois ses soixante-quinze ans d’indépendance. Mais il ne fait aucun doute qu’elle s'éloigne de plus en plus de ce qu’envisageaient ses fondateurs et de ce qui était exprimé dans sa déclaration d’indépendance.
Dès le départ, la démocratie israélienne était complexe. La tension créée par le fait d'être démocratique et juif devait inévitablement conduire à des paradoxes intrinsèques.
Plus de droits et de privilèges ont été accordés à la population juive par rapport à la minorité palestinienne qui a subi les conséquences de la guerre de 1948 et de la Nakba. Cette situation s’est aggravée encore plus après la guerre de 1967 lorsque Israël a commencé à contrôler de plus en plus la vie de millions de Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, qui sont désormais complètement privés des droits accordés à ceux qui vivent de l’autre côté de la Ligne verte.
Les résultats des élections confirment qu’une majorité de la population juive en Israël soutient cette situation et cherche à la justifier. Le judaïsme prime sur la démocratie.
Certes, le résultat de cette dernière élection ne fait que confirmer des évolutions qui couvent depuis de nombreuses années et les différentes nuances de la politique de droite –de la version soft à la version religieuse messianique d’extrême droite en passant par la version populiste – se sont avérées plus acceptables pour l’électorat que les opinions des groupes progressistes libéraux et de gauche d’Israël.
Pour ces derniers, cela signifie un long processus d’introspection: comment peuvent-ils accroître leur attrait aux yeux de la population au sens large sans compromettre leurs convictions profondes?
Pour ceux qui célèbrent actuellement la victoire, le défi est de gouverner le pays et, malgré leurs opinions belliqueuses, de le faire sans approfondir le schisme au sein de la société israélienne et sans entraîner une confrontation avec la région et le reste de la communauté internationale. À moins que ce ne soit effectivement leur objectif ultime.
Ainsi Benjamin Netanyahou, après un bref passage dans le désert politique, peut désormais être sûr de revenir au pouvoir et il est sans doute déjà en train d’imaginer des moyens de faire dérailler son procès pour corruption et d’éviter de se retrouver derrière les barreaux. Il pourrait même avoir l’embarras du choix quant aux personnes qui intégreraient le gouvernement.
Cependant, ses promesses électorales l’engagent à partager le pouvoir avec ceux qu’il apprécie le moins: le parti sioniste religieux kahaniste et les partis ultraorthodoxes. C’est son scénario catastrophe que d’être contraint de former une coalition dans laquelle son principal partenaire est un parti qui appelle à la destruction du système judiciaire, qui favoriserait encore plus la discrimination contre les Palestiniens citoyens d’Israël et qui voudrait perpétuer l’occupation en annexant la Cisjordanie à Israël, sans oublier d’imposer la loi juive – la halakha – dans le pays.

«Il n’y a pas d’échappatoire à la réalité. Le paysage sociopolitique actuel d’Israël évolue en effet de plus en plus vers le fondamentalisme religieux, devenant plus messianique, très nationaliste et raciste.» Yossi Mekelberg

Cependant, c’est M. Netanyahou lui-même qui a légitimé le sionisme religieux pour ses propres motifs opportunistes. Hélas, cela s’est avéré un plus grand «succès» que prévu et il pourrait désormais être contraint d’offrir à ses membres des postes essentiels au sein du gouvernement.
Certes, il partage certains de leurs points de vue, mais derrière sa rhétorique explosive se cache un politicien conservateur et peu enclin au risque, pour qui partager le pouvoir avec ceux qui ne connaissent pas la moindre nuance serait extrêmement inconfortable.
Ou bien, et c'est peut-être préférable de son point de vue, il pourrait choisir d’abandonner ses promesses de campagne pour se rapprocher de ceux avec qui il a promis à ses électeurs de ne jamais partager le pouvoir et qui, à leur tour, se sont engagés à ne jamais siéger à ses côtés dans le même gouvernement. Il pourrait ainsi leur demander de rejoindre sa coalition.
S’il le faisait, les deux partis pourraient facilement prétendre qu’ils agissent pour sauver le pays des griffes de l’extrême droite messianique et de l’influence excessive des partis ultra-orthodoxes. À long terme, cependant, les deux partis pourraient craindre de payer un prix électoral pour une telle décision et ils pourraient donc être réticents à unir leurs forces.
L’avenir d’Israël est incertain et promet d’être plus polarisé que jamais. La montée en puissance de la droite n’est pas un hasard. C’est le résultat de l’évolution démographique au fil des décennies et des politiques qui ont parrainé l’expansion des colonies et favorisé les frictions avec les Palestiniens.
En outre, les partis ultraorthodoxes ont été autorisés à créer un système de protection sociale parallèle pour leurs partisans, qui comprend des systèmes éducatifs inadaptés à une société moderne du XXIe siècle. Par conséquent, ils maintiennent ces partisans dans la pauvreté et la dépendance vis-à-vis de ces partis.
Benjamin Netanyahou n’a pas inventé ce système, mais il l’a élaboré et l’a exploité au maximum pour ses gains politiques et personnels. Cependant, cela a fragilisé la démocratie israélienne presque jusqu’au point de rupture, avec une probabilité de paix inexistante avec les Palestiniens et un monstre kahaniste en liberté.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com