La violence des colons ne fait que s’accroître avec le vide politique israélien

Un colon israélien brandissant une matraque lors d'affrontements dans la ville de Houwara, en Cisjordanie occupée, le 13 octobre 2022 (Photo fournie).
Un colon israélien brandissant une matraque lors d'affrontements dans la ville de Houwara, en Cisjordanie occupée, le 13 octobre 2022 (Photo fournie).
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Publié le Jeudi 10 novembre 2022

La violence des colons ne fait que s’accroître avec le vide politique israélien

La violence des colons ne fait que s’accroître avec le vide politique israélien
  • En 2022, les colons israéliens ou d'autres civils ont jusqu'à présent commis 106 attaques contre des Palestiniens, faisant 63 blessés et/ou endommageant des biens palestiniens
  • Le mouvement des colons et les éléments messianiques religieux d'extrême droite en son sein sont devenus trop puissants pour être contenus par n’importe quel gouvernement israélien

On ne peut que se demander combien d'élections générales il faudrait encore pour que la violence imposée par les colons juifs à leurs voisins palestiniens en Cisjordanie occupée – avec le soutien actif des forces de sécurité israéliennes ou leur apathie délibérée – devienne une question majeure de débat en Israël.

Apparemment, il n'y a pas eu de place pour une telle discussion dans cinq campagnes électorales au cours des trois dernières années, et même depuis plus longtemps. Pour la grande majorité de la population juive israélienne, la Cisjordanie et la bande de Gaza sont des endroits lointains où ils envoient leurs enfants servir au sein des Forces de défense israéliennes, dans le cadre de la machine d'occupation. Tout ce qui se passe dans ces territoires occupés y reste et ils ne veulent rien en savoir.

À l'exception de quelques organisations de la société civile, de journalistes et de politiciens courageux, que l'on peut compter sur les doigts d'une main (peut-être deux), il n'y a pas non plus de véritable place pour la moralité dans l’oppression des droits de millions de personnes qui vivent dans un voisinage immédiat, ou dans la façon dont elle a brisé la société israélienne et compromis ses intérêts et son système démocratique à long terme.

Rien ne représente mieux ce déni délibéré et cette ignorance de la situation en Cisjordanie que la violence continue et en constante aggravation de la part des colons, contre laquelle quasiment rien n'est fait par les autorités israéliennes. Dans les rares occasions où les forces de sécurité interviennent, c'est principalement pour protéger ces colons qui s’attaquent violemment à des Palestiniens innocents, ainsi qu’à des membres de la société civile israélienne qui viennent exprimer leur solidarité avec les victimes de ces actes de violence et documenter ce qui se passe.

La version présentée aux Israéliens et à l’étranger est une version déformée, par les soins des colons eux-mêmes, leurs représentants élus, l'armée et des médias de droite, qui tous présentent toujours les Palestiniens comme la partie violente ou comme des terroristes et affirment toujours que les colons agissent en état de légitime défense.

Ce sont en grande partie des bandes de brutes qui suscitent délibérément des frictions avec la population palestinienne

Yossi Mekelberg

Eh bien, c'est là un mythe qu'Israël a soigneusement élaboré. Le mouvement des colons dans son ensemble et les éléments messianiques religieux d'extrême droite en son sein sont maintenant devenus trop puissants et influents pour être contenus par n’importe quel gouvernement israélien. On a laissé ce problème s'envenimer au point qu'il est maintenant hors de contrôle et, après les élections de la semaine dernière, ces personnes ont une représentation encore plus grande à l’intérieur de la législature israélienne, la Knesset.

On a signalé le mois dernier que les responsables israéliens de la sécurité eux-mêmes avaient exprimé leur inquiétude face à l'augmentation des actes de violence commis ces dernières semaines par les colons israéliens en Cisjordanie occupée. Plus de 100 actes criminels motivés par le zèle nationaliste religieux ont été recensés en seulement dix jours, un chiffre alarmant. Les Palestiniens sont actuellement pris entre l'oppression de l'occupation «officielle»,  représentée par les forces de sécurité et l'administration israéliennes, et les colons qui agissent selon leur propre loi et harcèlent et terrifient leurs voisins palestiniens.

Il est indéniable qu'il existe des actes de militantisme palestinien, dont certains peuvent être qualifiés de «terrorisme», tandis que d'autres représentent une résistance légitime à l'occupation. Personne ne voudrait voir un seul Palestinien ou Israélien de plus perdre la vie dans ce conflit insensé, dans la mesure où l'occupation est vouée à créer une résistance, une partie de celle-ci étant armée.

Le fait est, cependant, que ce que font les colons n'a rien à voir avec la sécurité, qu'elle soit personnelle ou nationale, ou même avec l’autodéfense: il s'agit pour eux d'imposer leurs versions déformées du sionisme et du judaïsme. Il s'agit également de rendre la vie des Palestiniens aussi désagréable que possible, dans l'espoir que cela les fera céder et les forcera à se soumettre aux coups de tête de ce groupe de suprémacistes… Et si ce n’est pas le cas, le message est clairement: «partez». Ces colons suprémacistes nourrissent un plan ambitieux, et pour l'instant, la société israélienne leur a donné carte blanche pour le mener à bien et à leur guise contre la population palestinienne.

L'envoyé de l'ONU au Moyen-Orient, Tor Wennesland, a récemment déclaré au Conseil de sécurité de l'ONU que, selon son évaluation, 2022 est en voie de devenir l'année la plus meurtrière pour les Palestiniens en Cisjordanie depuis que l'organisation a commencé à suivre de près le nombre des décès en 2005. Il reste à voir si son appel à une action immédiate pour calmer «une situation explosive» et reprendre d'urgence les négociations de paix israélo-palestiniennes aura un impact sur la communauté internationale. J'en doute.

Ces sombres chiffres montrent que, cette année, au moins 125 Palestiniens ont été tués par les forces de sécurité israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, tandis qu'une série d'attaques palestiniennes a tué 27 Israéliens à l'intérieur d'Israël et dans les Territoires occupés. Dans cet environnement violent, les colons israéliens ou d'autres civils ont, jusqu'à présent cette année, commis 106 attaques contre des Palestiniens, faisant 63 blessés et/ou endommageant des biens palestiniens en toute impunité.

Ces dernières semaines, une grande partie de la violence des colons a eu lieu autour de la ville de Naplouse, où les colons ont non seulement attaqué les Palestiniens, mais se sont également retournés contre les soldats israéliens qui ont tenté de mettre fin à leurs attaques. La ville de Houwara est devenue l'une de leurs cibles favorites. Pour une minorité de colons, certes importante et bruyante, l'objectif est que les Territoires occupés deviennent la Cisjordanie «sauvage», où ils ne reconnaissent d'autre autorité que celle de leurs propres rabbins, qui sont souvent des extrémistes jugeant tout à fait acceptable de brûler des champs palestiniens, de déraciner des oliviers, de terrifier la population locale avec des bombes incendiaires et de battre des bergers. Tout cela au nom de ce qu'ils considèrent comme leur droit divin à  l'ensemble du pays.

Ces colons ne sont pas les pionniers des temps modernes qu'ils prétendent être, faisant des prétendus sacrifices pour la sécurité et la nature même d'Israël. Ils sont tout sauf cela. Ce sont en grande partie des bandes de brutes qui suscitent délibérément des frictions avec la population palestinienne. Dans le climat politique actuel d'Israël, ils sont presque intouchables, et même respectés par certains.

Israël et son peuple ont un choix à faire: soit employer toute la force de la loi contre les auteurs de ces crimes des colons, les mettre derrière les barreaux et les exclure de Cisjordanie, soit leur permettre de persévérer dans ce comportement, dans lequel cas chaque Israélien sera complice d'avoir aidé et encouragé, activement ou passivement, ces crimes racistes. Cela ne devrait pas être un choix difficile pour toute société civilisée qui croit en la justice, l'humanité et la primauté du droit.

 

• Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.


Twitter: @YMekelberg

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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com