Les Arabes devraient déployer une force de maintien de la paix en Syrie

Une force de maintien de la paix pourrait offrir aux réfugiés la sécurité nécessaire pour rentrer chez eux et permettre de contrôler l’influence de l’Iran (Photo, AFP).
Une force de maintien de la paix pourrait offrir aux réfugiés la sécurité nécessaire pour rentrer chez eux et permettre de contrôler l’influence de l’Iran (Photo, AFP).
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Publié le Vendredi 24 février 2023

Les Arabes devraient déployer une force de maintien de la paix en Syrie

Les Arabes devraient déployer une force de maintien de la paix en Syrie
  • Le président turc voit en son homologue syrien un possible partenaire qui peut faciliter tout assaut potentiel contre le nord-ouest de la Syrie
  • Le rôle militaire de la Russie en Syrie est plus faible en raison de la guerre en Ukraine, qui épuise toutes ses capacités

Après le récent tremblement de terre destructeur, les Émirats arabes unis (EAU) ont été les premiers, parmi les pays arabes, à envoyer leur ministre des Affaires étrangères à Damas pour exprimer leur soutien à Bachar al-Assad. Ce geste s'inscrit dans le prolongement de la politique d'ouverture des EAU à l’égard du président syrien. De même, la Turquie se rapproche du régime syrien. Les deux pays ont des objectifs différents. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui fait face à une situation difficile, cherche un coup électoral, tandis que les EAU veulent contenir la présence de l’Iran dans la région. Cependant, M. Al-Assad n’est ni disposé à atteindre cet objectif ni capable de le faire, d'où la nécessité d’agir intelligemment.

Le rapprochement entre le président turc et son homologue syrien vise à contrer les partis d’opposition turcs qui déclarent que, s’ils devaient gagner les élections, ils normaliseraient les relations avec Bachar al-Assad et ils veilleraient à ce que les réfugiés syriens en Turquie rentrent chez eux. D’autre part, MM. Erdogan et Al-Assad ont un ennemi commun: les Forces démocratiques syriennes (FDS). Les différentes négociations entre Bachar al-Assad et les FDS ont échoué. Le président turc voit en son homologue syrien un possible partenaire qui peut faciliter tout assaut potentiel contre le nord-ouest de la Syrie. Alors que l’Iran vante publiquement le rapprochement éventuel entre la Syrie et la Turquie, il le redoute en réalité. Toute normalisation avec la Turquie signifierait moins d’influence pour l’Iran.

Les Turcs envoient des signaux contradictoires. Ils indiquent que M. Erdogan est prêt à rencontrer M. Al-Assad, tout en affirmant que toute normalisation devrait respecter la résolution 2 254 du Conseil de sécurité de l’Organisation des nations unies (ONU). L’opposition critique Recep Tayyip Erdogan en soulignant que le retour des réfugiés ne peut se faire qu’au moyen d’un accord avec Damas. Or, c’est illogique, car Bachar al-Assad ne peut garantir la condition de base pour leur retour, soit un environnement sûr. Il n’y a pas d’armée arabe syrienne. L’armée est une coalition lâche de seigneurs de la guerre; ce n’est pas une structure cohésive avec un contrôle et un commandement clairs. Les deux seules véritables légions sont la 4e division blindée dirigée par Maher al-Assad, qui reçoit les ordres des Iraniens, et les Forces du tigre qui reçoivent les ordres de la base aérienne russe de Hmeimim.

Les forces du président syrien ne peuvent pas se déployer dans toute la Syrie et les autres pays arabes ne lui font certainement pas assez confiance pour lui donner les fonds et l’équipement nécessaires pour renforcer son armée. Ils ne lui font pas confiance en raison de la connexion iranienne. Pour que les pays du Golfe normalisent pleinement les relations avec Bachar al-Assad, il devra revoir ses liens avec l’Iran. Le cas du Soudanais Omar el-Béchir devrait en revanche servir de signal d’alerte à M. Al-Assad. M. El-Béchir a renoncé à sa relation avec l’Iran, mais il a quand même été destitué. Le président syrien pourrait subir le même sort. Il faudra donc des garanties qu’il limitera la présence iranienne en Syrie.

 

«Ces troupes pourraient offrir aux réfugiés la sécurité nécessaire pour rentrer chez eux, et permettre de contrôler l’influence de l’Iran.»

 

Les Turcs ne peuvent pas quitter le nord-ouest de la Syrie et permettre à Bachar al-Assad d’y déployer ses forces. Les habitants d’Idlib sont irréconciliables avec le régime, comme nous l’avons vu lors des grandes manifestations de janvier contre la normalisation des relations de la Turquie avec M. Al-Assad. Si les forces de Bachar al-Assad devaient prendre le contrôle d’Idlib, cela entraînerait un carnage, car les personnes déplacées n’auraient nulle part où aller.

Le rôle militaire de la Russie en Syrie est plus faible en raison de la guerre en Ukraine, qui épuise toutes ses capacités. Le pays serait toutefois heureux de jouer un rôle diplomatique. Moscou pourrait obtenir le soutien arabe et turc dont elle a cruellement besoin si elle négociait un bon accord pour eux en Syrie. Le président turc a plus que jamais besoin d’un environnement sûr pour renvoyer les réfugiés.

Désormais, alors que la Turquie est aux prises avec les conséquences des tremblements de terre, la question des réfugiés n’est plus prioritaire. Elle pourrait cependant revenir en force dans le discours public à l’approche des élections de mai. Comme indiqué plus haut, M. Al-Assad ne peut pas garantir un retour des réfugiés en toute sécurité comme l’exige la résolution 2 254. Par conséquent, les EAU pourraient coopérer avec d’autres pays arabes sur le déploiement d’une force de maintien de la paix arabe afin d’offrir aux réfugiés la sécurité nécessaire pour rentrer chez eux et comme frein nécessaire à l’influence de l’Iran en Syrie.

Les Arabes devraient toutefois apprendre de leurs erreurs. À la suite du sommet de Riyad en octobre 1976, alors que la guerre civile libanaise s’intensifiait, la Ligue arabe a décidé d’envoyer une force de maintien de la paix au Liban. Cependant, lorsque les différentes forces arabes ont commencé à se retirer, les Syriens sont restés. C'est ainsi qu'est né le contrôle syrien du Liban, particulièrement détesté, qui n’a pris fin qu’en 2005 avec la révolution du Cèdre. Ainsi, si les États arabes devaient envoyer des forces en Syrie, ils devraient en premier lieu s’assurer de l’engagement de ces forces et de leur cohésion pour éviter qu’un pays ne finisse par contrôler la force.

Si les forces turques devaient se retirer partiellement, permettant à une force arabe de les remplacer, cela pourrait être une solution acceptable pour l’opposition à Idlib. Une force arabe pourrait résoudre le problème pour les EAU et la Turquie. Ankara serait en mesure de fournir un environnement sûr pour le retour des réfugiés et d’empêcher une confrontation entre les forces de Bachar al-Assad et l’opposition à Idlib.

Il s’agirait également d’une solution acceptable entre l’opposition syrienne et la Turquie. M. Erdogan, qui se positionne en ardent défenseur du peuple syrien, ne peut livrer l’opposition aux griffes de M. Al-Assad. Cette initiative offrirait également aux EAU et aux autres États arabes du Golfe une garantie que l’influence de l’Iran serait limitée.

Bachar al-Assad pourrait en revanche ne pas accepter le déploiement d’une force de maintien de la paix arabe, car elle porterait atteinte à son rôle en Syrie. C’est là que le rôle de la Russie devient très important. La Russie s’est accrochée au président syrien, même si elle sait que le dictateur brutal ne peut pas stabiliser le pays. Elle s’accroche à lui pour deux raisons: la première est le mépris de Moscou pour l’Occident et la seconde est que M. Al-Assad est une figure consensuelle du régime. S’il part alors que le régime est dans son état de fragilité actuel et que la situation sécuritaire n’est pas stabilisée, le régime pourrait s’effondrer. Le déploiement d’une force arabe de maintien de la paix peut résoudre ce problème. Cela pourrait permettre de stabiliser le pays et au président syrien de rester une figure de proue, ce que Moscou souhaite en signe de défi à l’Occident.

Une force arabe de maintien de la paix serait la meilleure solution pour Ankara, Moscou, le golfe Arabique et le peuple syrien. Il reste toutefois à l’imposer à Bachar al-Assad. Le rôle de la diplomatie émiratie pourrait être vital sur ce point. Abu Dhabi devrait travailler en étroite collaboration avec Moscou et Ankara à ce sujet. C’est certainement une tâche ardue, mais ce serait une énorme victoire pour le soft power des EAU si elle était menée à bien.

 


La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com