Le point de vue d’Ankara sur l'accord entre Riyad et Téhéran

Le conflit entre la Turquie et les forces kurdes en Syrie a été exploité par l'Iran. (Photo, AFP/Archives)
Le conflit entre la Turquie et les forces kurdes en Syrie a été exploité par l'Iran. (Photo, AFP/Archives)
Short Url
Publié le Dimanche 26 mars 2023

Le point de vue d’Ankara sur l'accord entre Riyad et Téhéran

Le point de vue d’Ankara sur l'accord entre Riyad et Téhéran
  • Ankara et Riyad ont l'habitude de travailler en étroite collaboration, puisque les deux pays se sont retrouvés sur la même longueur d'onde dans plusieurs dossiers régionaux
  • Il serait également dans l'intérêt de la Turquie que l'accord entre l'Arabie saoudite et l'Iran réduise les tensions dans la région et crée un environnement plus sûr permettant à tous les acteurs de se concentrer sur leurs visions nationales

L'accord conclu entre l'Arabie saoudite et l'Iran sous l'égide de la Chine, qui a été annoncé le 10 mars, a été accueilli favorablement par les responsables politiques turcs à Ankara. La Turquie est l'un des pays de la région qui suit de près l'évolution de la situation entre Riyad et Téhéran.

Lors d'une conversation téléphonique avec son homologue iranien la semaine dernière, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a déclaré qu'Ankara saluait l'accord signé entre les deux pays sur le rétablissement des relations diplomatiques après sept ans, soulignant les effets positifs pour la stabilité régionale.

Historiquement, la Turquie, l'Iran et l'Arabie saoudite constituent les principales puissances régionales du Moyen-Orient. Leurs relations bilatérales ont des répercussions considérables, affectant les calculs des acteurs régionaux et mondiaux. Ni leur coopération ni leur concurrence ne naissent de circonstances isolées, mais plutôt les dynamiques nationales, régionales et internationales jouent un rôle essentiel. La nature de leurs relations a été influencée non seulement par ces dynamiques, mais aussi par le contexte des rivalités dans la région avec d'autres acteurs ou entre eux-mêmes.

Au cours des deux dernières décennies, les relations d'Ankara avec Riyad et Téhéran ont connu de nombreux hauts et bas. Dans les années 2000, l'équilibre régional des forces, qui était en faveur de l'Iran à la suite de l'invasion américaine de l'Irak, a poussé la Turquie et l'Arabie saoudite à entretenir des relations plus étroites et à coopérer dans plusieurs domaines. Dans les années 2010, lorsque les relations turco-saoudiennes ont été mises à l'épreuve à cause des développements régionaux liés aux soulèvements arabes, Ankara et Téhéran se sont engagés dans une coopération sur des dossiers spécifiques, comme celui de la Syrie. Le processus de paix d'Astana en est un exemple.

En politique internationale, il n'y a pas d'inimitiés ou d'alliances permanentes, il n'y a que des intérêts permanents. Le Moyen-Orient l'a prouvé à plusieurs reprises: l'ennemi d'hier peut être l'allié de demain. L'évolution de la géopolitique et des réalités de la région pousse les pays à mettre de côté leurs différences idéologiques au nom de leurs intérêts nationaux et de la stabilité de la région. Cela a été le cas dans les relations de la Turquie avec l'Arabie saoudite et l'Iran; Ankara adoptant principalement une approche équilibrée et pragmatique à l'égard de la rivalité ou de l'accord entre Riyad et Téhéran.

Dans le cas d’une diminution de l'influence iranienne dans la région — si cela se produit à la suite du récent accord — la Turquie serait l'un des acteurs à en bénéficier.

Sinem Cengiz

Le récent accord entre l'Arabie saoudite et l'Iran n'est pas seulement une victoire pour Riyad et Téhéran, mais aussi pour plusieurs autres acteurs, comme la Turquie. Dans le cas d’une diminution de l'influence iranienne dans la région si cela se produit à la suite du récent accord la Turquie serait l'un des acteurs à en bénéficier.

Il existe déjà une tendance dominante à la normalisation et à la détente dans la région. La Turquie a été l'un des principaux acteurs de ce processus, ayant entamé des pourparlers de réconciliation avec l'Égypte, Israël et plusieurs pays du Golfe. L'Arabie saoudite est l'un des pays avec lesquels la Turquie a récemment brisé la glace. La Turquie a également entamé un processus de normalisation avec la Syrie après une décennie d'hostilité. L'Iran est l'un des acteurs impliqués dans le processus de normalisation turco-syrien.

Les tensions turco-iraniennes se sont intensifiées ces dernières années en raison de leurs désaccords au sujet de l'Irak, la Syrie et même le Liban. En outre, la politique turque à l’égard de la Syrie est étroitement liée à la menace séparatiste kurde. Ankara a longtemps eu l'impression que la carte kurde était utilisée par Téhéran comme moyen de pression. Cependant, malgré les tensions et la méfiance entre la Turquie et l'Iran, les deux pays savent comment traiter l'un avec l'autre d'une manière moins conflictuelle. C'est la raison pour laquelle leur relation complexe est généralement décrite comme une «concurrence gérable» ou une «coopération réticente», étant donné que leurs politiques régionales s'opposent à bien des égards.

Par contre, Ankara et Riyad ont l'habitude de travailler en étroite collaboration, puisque les deux pays se sont retrouvés sur la même longueur d'onde dans plusieurs dossiers régionaux, notamment au sujet du Liban, de la Syrie et de l’Irak. Ainsi, Ankara a apporté son soutien à la Coalition pour le rétablissement de la légitimité au Yémen, accusant l'Iran de tenter de dominer la région avec un agenda sectaire en soutenant les Houthis.

La question qui se pose donc est de savoir quels sont les enjeux pour la Turquie découlant de l'accord entre l'Arabie saoudite et l'Iran. Il serait important qu'Ankara suive la voie de la normalisation avec la Syrie sans que les Iraniens ne jouent le rôle de trouble-fête. La Turquie souhaite réduire l'implication et l'influence de l'Iran en Syrie, un sentiment partagé par d'autres pays de la région qui veulent ramener la Syrie dans le giron arabe. Parallèlement, il est important pour Ankara de maintenir des relations étroites et positives avec les pays du Golfe, en particulier avec l'Arabie saoudite, à un moment où le pays est confronté à des problèmes économiques et politiques à l'approche d'élections cruciales.

Il serait également dans l'intérêt de la Turquie que l'accord entre l'Arabie saoudite et l'Iran réduise les tensions dans la région et crée un environnement plus sûr permettant à tous les acteurs de se concentrer sur leurs visions nationales. Ainsi, Ankara estime que cet accord pourrait encourager la Turquie à coopérer avec l'Arabie saoudite et l'Iran sur différentes questions régionales sans se sentir obligée de choisir un camp.

 

Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. Twitter: @SinemCngz

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com