Il semble presque vain d'essayer de convaincre la grande majorité des Israéliens qu'ignorer la question palestinienne ne la fera pas disparaître. Qu'il s'agisse d'un vœu pieux ou de l’impuissance à parvenir à un accord à l'amiable acceptable pour les deux peuples, de nombreux Israéliens refusent tout simplement d'accepter que l'occupation sans fin de leur pays, qui prive une autre nation de son droit à l'autodétermination, est non viable et immorale, et ce faisant, érode la démocratie israélienne.
Néanmoins, si ces perspectives ne réussissent pas à émerger, il y a des rappels, bien que probablement insuffisants, que non seulement le système démocratique se porte mal en raison de l'occupation de la terre et du peuple palestiniens, mais qu'il conduit également à une érosion du soutien de l'opinion publique à l'extérieur du pays, soutien auquel Israël attache une importance majeure.
Ceux qui occultent la question palestinienne parce qu'ils ne croient pas qu'il y ait de solution, ou parce qu'ils aimeraient étendre les colonies et en définitive annexer des parties ou la totalité de la Cisjordanie, comptent également sur l'intérêt décroissant pour la question de la communauté internationale. Le monde n'approuve peut-être pas, et peut même condamner le comportement d'Israël envers les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza, mais il montre très peu de signes d'être prêt à agir pour changer cet état regrettable des choses.
Les changements géopolitiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ainsi que l’évolution des priorités des États-Unis et de l'Europe, constituent une source de complaisance auprès des Israéliens, qui estiment qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent concernant les Palestiniens et leur terre.
Par conséquent, une nouvelle enquête très révélatrice de Gallup sur les opinions des Américains concernant les Israéliens et les Palestiniens devrait ébranler cette complaisance, car elle montre qu'il y a une modification progressive de l'opinion publique, en particulier parmi les Démocrates, dans le sens d’un soutien au peuple palestinien. Pour la première fois, cette enquête a révélé que les Démocrates étaient plus susceptibles de montrer davantage de sympathie pour les Palestiniens que pour les Israéliens, malgré la perception positive qu’ils ont d'Israël.
En réponse à la question : «Dans la situation prévalant au Moyen-Orient, vos sympathies vont-elles plutôt aux Israéliens ou aux Palestiniens ?», 49 % d49 % des Démocrates ont exprimé davantage de sympathie pour les Palestiniens, et 38 % pour les Israéliens. C’est là un écart important qui pourrait être le début d'un changement dans la dynamique des relations entre les deux pays, en particulier lorsque les Démocrates sont au pouvoir, et avec encore plus d'importance lorsqu'ils contrôlent à la fois la Maison Blanche et le Capitole.
Soutenir Israël contre vents et marées nuit aussi bien à la déontologie des États-Unis qu’à la cause de la justice mondiale et des droits humains
Yossi Mekelberg
S'il y a une surprise dans ces résultats, c'est qu'il a fallu cinquante-six ans d'occupation et des décennies de processus de paix ratés pour atteindre le point où l'opinion publique américaine, en particulier parmi les jeunes, commence à se tourner vers la partie la plus faible de ce conflit. Ce n'est pas nécessairement un soutien aux dirigeants palestiniens, qui ne bénéficient guère du soutien de leur propre peuple. Il ne s’agit pas non plus d’un soutien au militantisme, mais d’une réaction très humaine à la souffrance sans fin d’autres personnes.
Il est toujours vrai que, dans l'ensemble, les Républicains soutiennent encore massivement Israël, bien que l’on ne sache pas si leurs opinions peuvent changer à la lumière de l'attaque contre le système judiciaire menée l’actuel gouvernement israélien. Les politiciens prenant le contrôle du pouvoir judiciaire pourraient trouver un écho auprès de certains des éléments du parti républicain les plus favorables à Trump, mais pas auprès des groupes les plus modérés.
L’enquête de Gallup a donné plus de poids à un sondage similaire réalisé cette année par le Pew Research Center, qui a également constaté un réchauffement des sentiments des électeurs américains envers le peuple palestinien. Cela ne signifie pas que le peuple américain a une vision claire de la meilleure solution possible au conflit entre Israël et les Palestiniens, mais environ un tiers d'entre eux soutiennent la thèse d'une solution à deux États. Fait inquiétant pour de nombreux Israéliens, 27% des Américains préféreraient voir émerger un État unique, dirigé conjointement par les Israéliens et les Palestiniens. C'est peut-être une approche naïve, mais c'est néanmoins le reflet d'une volonté de voir les personnes jouir de droits égaux.
Il y a une tendance constante parmi les éléments les plus progressistes du parti Démocrate, qui consiste à remettre en question le soutien inconditionnel de Washington à Israël, car il devient évident que ce dernier n'adhère pas aux valeurs communes des deux pays, soit du fait son attaque contre le système démocratique, soit de ses relations avec les Palestiniens.
En outre, l'occupation continue des terres palestiniennes nuit également aux intérêts américains dans la région et au-delà. Pour un pays qui se veut le champion des droits humains, ce qui est plus ou moins justifiable, soutenir Israël contre vents et marées compromet à la fois la déontologie des États-Unis et la cause de la justice mondiale et des droits humains.
Les changements dans la perception populaire ne se produisent pas du jour au lendemain, pas plus que l'érosion de la démocratie israélienne, mais ils atteignent un point où la balance penche et où les politiciens ne peuvent plus les ignorer. Les moteurs du changement en Amérique sont les jeunes ayant des convictions plus progressistes, dont un grand nombre a été sensibilisé par une formation en arts libéraux accompagnée d’un discours sur les droits humains, ce qui les empêche de rester indifférents au sort des Palestiniens, que ce soit en Cisjordanie ou à Gaza, ou des réfugiés à travers le Moyen-Orient.
Il existe aussi un nombre croissant d'hommes politiques qui sont prêts à contester la vision confortable et crédule d'Israël à un moment où ce dont on a cruellement besoin, c'est d'un échange franc entre deux alliés, d'autant plus que l'un d'eux se trouve dans une dérive progressive concernant ses valeurs et institutions démocratiques libérales, détruisant toute chance de coexistence future avec les Palestiniens.
Il y a une tendance en Israël à prendre l'amitié et le soutien des États-Unis pour acquis et à ignorer les changements géopolitiques. La jeune génération aux États-Unis est moins consciente, ou considère comme moins importants les fondements historiques de cette relation. Les jeunes Américains sont moins attachés à ce qui est perçu dans le pays comme l'époque héroïque de la fondation de l'État d'Israël il y a soixante-quinze ans. Ce qui revêt aujourd’hui de l’importance pour eux, c'est d’observer un gouvernement israélien en marche pour détruire aussi bien sa propre démocratie que le droit d'un autre peuple non seulement à l'autodétermination, mais à mener une vie normale dans la dignité. Les politiciens américains pourraient être à la traîne dans leur réaction à ces changements, mais la question est de savoir pour combien de temps ?
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme MENA à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com