Rapprochement Ankara-Damas: la Russie en quête de succès diplomatique au Moyen-Orient

Des diplomates russes et turcs, dont le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, lors de discussions à Moscou en 2020 (Photo, AFP).
Des diplomates russes et turcs, dont le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, lors de discussions à Moscou en 2020 (Photo, AFP).
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Publié le Lundi 03 avril 2023

Rapprochement Ankara-Damas: la Russie en quête de succès diplomatique au Moyen-Orient

  • Moscou, alliée d'Assad, a accueilli en décembre la réunion de plus haut niveau entre ministres syriens et turcs depuis 2012
  • Le succès de Pékin dans son rôle de médiateur entre Riyad et Téhéran s'explique par ses relations cordiales avec les deux pays

ERBIL, KURDISTAN IRAKIEN: Après le succès de la Chine dans le rétablissement des relations diplomatiques entre l'Arabie saoudite et l'Iran, la Russie espère pouvoir faire de même en supervisant un rapprochement entre la Syrie et la Turquie. Les experts soulignent toutefois que les différences fondamentales entre les deux processus de normalisation ne permettent pas d'envisager une percée rapide.

Moscou a organisé en décembre une réunion entre les ministres syrien et turc de la Défense, perçue comme l'amorce d'un rapprochement potentiel entre les deux rivaux. Il s'agit de la réunion de plus haut niveau entre des responsables syriens et turcs depuis la rupture des liens entre les deux pays en 2012, après le début de la guerre civile syrienne.

Le président russe Vladimir Poutine reçoit des hauts-dignitaires turcs au Kremlin, le 24 août 2018 à Moscou (Photo, AFP).

La capitale accueillera une autre réunion entre les vice-ministres des Affaires étrangères de la Syrie, de la Turquie, de l'Iran et de la Russie les 3 et 4 avril, pour discuter de la situation en Syrie. Selon un haut responsable turc interrogé par Reuters, cette réunion «devrait s'inscrire dans le prolongement des réunions ministérielles qui ont débuté lors du processus de normalisation» promu par la Russie.

«La Russie dispose d'une influence importante sur le président syrien Bachar al-Assad et entretient de bonnes relations avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, ce qui lui donne de l'autorité et du poids dans les négociations entre la Turquie et la Syrie», estime Joshua Landis, directeur du Center of Middle East Studies et du Farzaneh Family Center for Iranian and Arabian Gulf Studies à l'université d'Oklahoma aux États-Unis.

«La Syrie et la Turquie se heurtent également à plusieurs obstacles majeurs qui empêchent la conclusion d'un accord. La Turquie occupe environ 10 % du territoire syrien et soutient les milices rebelles hostiles au régime d'Assad», a-t-il indiqué à Arab News.

Ankara a lancé en 2019 une vaste offensive terrestre sur les zones contrôlées par les Kurdes dans le nord-est de la Syrie (Photo, AFP).

Si Pékin a réussi à jouer le rôle de médiateur entre Riyad et Téhéran en raison de ses relations cordiales avec les deux pays, les États-Unis n’entretiennent plus de liens diplomatiques avec l'Iran depuis des décennies. Washington s'oppose également à Assad et dissuade les pays alliés de rétablir leurs relations avec Damas. La Russie, pour sa part, maintient de bonnes relations avec la Turquie et la Syrie.

Chronologie des relations entre les deux pays

Mars 2012: Rupture des liens diplomatiques entre la Syrie et la Turquie.

Janvier 2017: Début du processus d'Astana, sous la médiation de la Russie, de la Turquie et de l'Iran.

Octobre 2021: Intervention des ministres syrien et turc des Affaires étrangères lors du sommet du Mouvement des non-alignés à Belgrade.

Septembre 2022: Réunions des chefs des services de renseignement syriens et turcs à Damas.

Décembre 2022: Rencontre entre les ministres syrien et turc de la Défense à Moscou.

Il existe toutefois une différence importante entre la nature de ces liens. La Chine entretient des relations beaucoup plus équilibrées avec l'Arabie saoudite et l'Iran que la Russie avec la Turquie et la Syrie.

«La Russie est profondément impliquée en tant que garant de la sécurité du gouvernement syrien grâce au soutien apporté par Moscou à Damas au cours des dix années de guerre civile», indique à Arab News Emily Hawthorne, analyste principale du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord auprès la société de renseignement sur les risques RANE.

Le président syrien Bachar al-Assad en compagnie du président russe Vladimir Poutine et du ministre de la Défense Sergueï Shoigu à Lattaquié, en Syrie (Photo, AFP).

«Cette situation se distingue nettement des relations plus équilibrées de la Chine avec l'Arabie saoudite et l'Iran; la Chine n'est le garant de la sécurité ni de Téhéran, ni de Riyad.»

«Les relations étroites que la Russie entretient avec le gouvernement syrien lui confèrent certainement un pouvoir de médiation avec la Syrie que peu d'autres pays possèdent, mais la Russie ne bénéficie pas du même type de relations avec la Turquie», a-t-elle ajouté.

Anton Mardasov, analyste russe indépendant et chercheur pour le programme sur la Syrie du Middle East Institute, doute que Moscou parvienne à reproduire le succès de Pékin, étant donné qu'elle est «partie prenante au conflit en Syrie», même si elle a essayé de jouer le rôle de médiateur.

«Le Kremlin se trouve dans une position difficile : Il souhaite accroître le potentiel de Damas afin de se décharger de la responsabilité de sa survie», explique M. Mardasov à Arab News. «En ce sens, Moscou aspire au rétablissement des liens entre la Syrie et la Turquie et à la consolidation, par exemple, de la coopération économique.»

«De plus, compte tenu de la guerre en Ukraine et de l'importance de la Turquie en tant que partenaire économique, le Kremlin entend pousser Assad à se rapprocher de la Turquie, puisqu'il en va de l'intérêt d'Ankara, au vu surtout de la question des réfugiés», a-t-il ajouté.

Les désaccords profonds entre Damas et Ankara sur l'avenir du nord de la Syrie compliquent également les efforts déployés par Moscou pour la normalisation.

«Le territoire analogue le plus proche entre l'Arabie saoudite et l'Iran serait le Yémen, mais le Yémen est un pays souverain et la dynamique du conflit est très différente», explique Mme Hawthorne.

«Parmi les défis auxquels la Russie devrait faire face dans sa médiation entre Ankara et Damas, il y aurait la question difficile de l'avenir du nord de la Syrie, et la question de savoir si Damas peut promettre de résoudre les problèmes de sécurité de la Turquie concernant les militants kurdes dans cette région», poursuit-elle.

Les funérailles de Kurdes tués par des combattants affiliés à la Turquie, le 21 mars 2023 à Jindiyaris (Photo, AFP).

Selon M. Mardasov, Assad est en position de faiblesse et affiche des exigences irréalistes. Il souligne que la Turquie n'avait officiellement pas de troupes dans le nord de la Syrie puisque les factions d'opposition alliées contrôlent ces territoires, bien qu'elle ait des troupes à la frontière et qu'elle puisse intervenir rapidement au nom de ces factions.

«La présence des troupes turques à Idlib a été formellement approuvée non seulement par la Russie, mais aussi par l'Iran dans le cadre du processus d'Astana», précise-t-il, en référence au processus de paix tripartite Russie-Iran-Turquie en Syrie lancé en janvier 2017. «Par conséquent, insister sur leur retrait, c'est insister sur la rupture des accords d'Astana.»

En outre, la Turquie contrôle des territoires syriens où vivent des millions de personnes, ce qui lui confère une influence considérable.

«Il s'agit en réalité d'une situation assez délicate puisque la Russie, en tant que protectrice d'Assad, est également dépendante de la Turquie, aussi bien sur le plan des projets dans le contexte de la guerre en Ukraine que sur le plan des négociations sur le volet syrien», signale M. Mardasov. «Ici, il s'agit davantage de mesures tactiques pour que Moscou n'aggrave pas sa position car, stratégiquement, la situation est peu avantageuse pour le Kremlin.»

M. Landis s’attend à ce que les négociations soient en grande partie suspendues jusqu'à la fin des élections turques, le 14 mai.

Des réfugiés syriens passant la frontière turque (Photo, AFP).

«L'opposition turque dénonce la politique d'Erdogan à l'égard de la Syrie et assure qu'elle procédera rapidement à la normalisation des relations avec la Syrie», note-t-il. «L'opposition turque a peu d'obligations envers les groupes rebelles syriens qu'Erdogan soutient et a promis de protéger.»

«Si Kemal Kilicdaroglu gagne en mai, les relations entre Damas et Ankara devraient s'améliorer rapidement», ajoute-t-il, «même si le problème de la gestion des quatre millions de réfugiés et des miliciens islamistes ne disparaîtra pas.»

La Russie a pareillement tout intérêt à assurer la normalisation.

«Un État client plus stable pour la Russie lui confère un ancrage plus stable dans le Moyen-Orient élargi», a déclaré Mme Hawthorne.

Par ailleurs, en cas d'échec, les risques ne seront pas trop élevés pour la Russie.

«L'échec de Moscou dans cette tentative ne devrait pas compromettre la position de la Russie au Moyen-Orient, qui repose davantage sur sa capacité à maintenir une liste de relations bilatérales très différentes dans toute la région», estime Mme Hawthorne.

«La médiation russe pourrait faire avancer la conversation entre la Syrie et la Turquie, mais tant qu'Ankara et Damas n'auront pas trouvé leur propre accord sur l'avenir du nord de la Syrie, il est peu probable que Moscou y parvienne.

M. Landis considère également que la Russie a «énormément» investi dans la Syrie d'Assad et que la «victoire» du président russe Vladimir Poutine dans ce pays a été un «grand succès de politique étrangère» pour la Russie.

Des opposants au régime syrien manifestent à l'occasion du douzième anniversaire du soulèvement contre Assad, le 15 mars à Al-Bab, près de la frontière turque (Photo, AFP).

Toutefois, la Syrie reste «en danger» en raison du boycott général d'Assad et des «sanctions dévastatrices» imposées à Damas.

«Si Poutine parvient à rompre l'isolement de la Syrie et à relancer les accords diplomatiques et commerciaux régionaux, il aura réussi», estime M. Landis.

Il reste ainsi optimiste quant à la possibilité d'un accord entre Ankara et Damas.

«Je pense que la Syrie et la Turquie normaliseront leurs relations, même si le chemin est semé d'embûches», note-t-il. «Les deux pays partagent une frontière de 764 kilomètres. Ils ont un intérêt commun à faire sortir les troupes américaines de Syrie, à stopper l'armement des Kurdes et à lutter contre le "terrorisme".»

«Tous deux ont intérêt à revenir aux bonnes relations qu'ils partageaient avant la guerre et qui leur ont permis de prospérer et de se développer.»

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Trois morts dans des manifestations des alaouites syriens contre le bombardement d'une mosquée

Des membres des forces de sécurité syriennes déployés lors de manifestations de la communauté alaouite à Lattaquié, dimanche. (Reuters)
Des membres des forces de sécurité syriennes déployés lors de manifestations de la communauté alaouite à Lattaquié, dimanche. (Reuters)
 Les alaouites syriens sont descendus dans la rue dimanche dans la ville côtière de Lattaquié pour protester contre l'attentat à la bombe contre une mosquée qui a tué huit personnes à Homs deux jours auparavant. (REUTERS)
Les alaouites syriens sont descendus dans la rue dimanche dans la ville côtière de Lattaquié pour protester contre l'attentat à la bombe contre une mosquée qui a tué huit personnes à Homs deux jours auparavant. (REUTERS)
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  • Des membres du régime de Bashar Assad ont attaqué les forces de sécurité et les civils, rapportent les médias d'État
  • Selon les autorités sanitaires, des dizaines de personnes ont été soignées pour des blessures causées par des coups de feu, des couteaux et des pierres

LATTAKIEH: Trois personnes ont été tuées et des dizaines d'autres blessées lors des manifestations des Alaouites de Syrie dans la ville côtière de Lattaquié dimanche.

Les responsables de la sécurité ont déclaré que les restes du régime de Bashar Assad ont attaqué les forces de sécurité et les civils lors des manifestations, a rapporté l'agence de presse nationale syrienne SANA.

Les autorités sanitaires régionales ont déclaré que 60 personnes avaient été blessées et que les hôpitaux traitaient les victimes pour des blessures causées par des coups de feu, des couteaux et des pierres.

Deux ambulances ont été attaquées alors qu'elles intervenaient sur les lieux des incidents.

Le colonel Abdulaziz Al-Ahmad, chef de la sécurité intérieure à Lattaquié, a déclaré que des "éléments liés aux vestiges du régime déchu" participant aux manifestations ont attaqué le personnel de la sécurité intérieure, faisant plusieurs blessés et endommageant des véhicules.

Les manifestations ont eu lieu en réponse à l'attentat à la bombe contre une mosquée qui a tué huit personnes dans un quartier alaouite de la ville de Homs deux jours auparavant.

M. Assad a été chassé du pouvoir il y a un an, après qu'une offensive des forces d'opposition a mis fin à la guerre civile qui a décimé le pays.

Le nouveau président, Ahmad Al-Sharaa, s'efforce de stabiliser le pays, mais il y a eu des flambées de violence sectaire.

Les représentants du gouvernement affirment que les groupes restés fidèles au régime d'Assad, qui était dominé par la minorité alaouite, ont tenté d'inciter à la violence en utilisant les manifestations civiles comme couverture pour cibler le personnel de sécurité et endommager les biens publics.

Le colonel Al-Ahmad a déclaré que des individus armés et masqués affiliés à des groupes connus sous le nom de "Saraya Deraa Al-Sahel" et "Saraya Al-Jawad" étaient présents lors des manifestations de dimanche. Ces groupes ont déjà perpétré des assassinats ciblés et posé des explosifs le long d'axes routiers importants.

Des milliers de personnes ont participé aux manifestations de dimanche organisées par une autorité religieuse en réponse à l'attaque de la mosquée, a rapporté l'AFP.

Les forces syriennes ont ensuite été déployées pour disperser les partisans du gouvernement, selon un correspondant de l'AFP.

Les manifestations de dimanche ont été organisées à l'appel du chef spirituel alaouite Ghazal Ghazal, qui a exhorté samedi la population à "montrer au monde que la communauté alaouite ne peut être humiliée ou marginalisée" après l'attentat à la bombe de Homs.

L'attentat de vendredi a été revendiqué par un groupe extrémiste connu sous le nom de Saraya Ansar Al-Sunna.

Il s'agit de la dernière attaque en date contre cette minorité religieuse, qui est la cible de violences depuis la chute, en décembre 2024, de M. Assad, lui-même alaouite.


Le pari israélien sur le Somaliland : quels risques pour la région?

Israël a officiellement reconnu le Somaliland le 26 décembre, brisant ainsi des décennies de consensus international sur l'intégrité territoriale de la Somalie. (Fourni)
Israël a officiellement reconnu le Somaliland le 26 décembre, brisant ainsi des décennies de consensus international sur l'intégrité territoriale de la Somalie. (Fourni)
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  • La situation stratégique du Somaliland près du Bab Al-Mandab fait craindre qu'une présence sécuritaire israélienne ne transforme la mer Rouge en poudrière
  • Les critiques soutiennent que la décision ravive la stratégie israélienne de "périphérie", encourageant la fragmentation des États arabes et musulmans pour un avantage stratégique

RIYAD: Les observateurs régionaux chevronnés ne seront peut-être pas surpris d'apprendre qu'Israël est devenu le premier et le seul État membre des Nations unies à reconnaître officiellement la République du Somaliland comme une nation indépendante et souveraine.

Le 26 décembre, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre des affaires étrangères Gideon Sa'ar ont signé une déclaration commune de reconnaissance mutuelle avec le président du Somaliland, Abdirahman Mohamed Abdullahi.

Pour une région qui a existé dans un état de flou diplomatique depuis qu'elle a déclaré son indépendance de la Somalie en 1991, ce développement est, comme l'a décrit M. Abdullahi, "un moment historique". Mais sous la surface se cache un pari géopolitique calculé et à fort enjeu.

Si plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, l'Éthiopie, la Turquie et les Émirats arabes unis, ont ouvert des bureaux de liaison dans la capitale, Hargeisa, aucun n'a voulu franchir le Rubicon de la reconnaissance officielle de l'État.


Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, assisté du ministre des affaires étrangères Gideon Sa'ar, signe le document reconnaissant officiellement la région séparatiste du Somaliland, le 26 décembre 2025. (AFP)
La décision d'Israël de rompre ce consensus international vieux de plusieurs décennies constitue une rupture délibérée avec le statu quo.

En prenant cette mesure, Israël s'est positionné comme le principal bienfaiteur d'un État qui cherche depuis longtemps à s'asseoir à la table internationale. Comme l'a déclaré à Arab News Dya-Eddine Said Bamakhrama, ambassadeur de Djibouti en Arabie saoudite, une telle décision est profondément perturbatrice.

"Une déclaration unilatérale de séparation n'est ni un acte purement juridique ni un acte politique isolé. Au contraire, elle entraîne de profondes conséquences structurelles, au premier rang desquelles l'aggravation des divisions internes et des rivalités entre les citoyens d'une même nation, l'érosion du tissu social et politique de l'État et l'ouverture de la porte à des conflits prolongés", a-t-il déclaré.

Les critiques affirment qu'Israël fait depuis longtemps pression pour un nouveau découpage de la région sous diverses formes.

La reconnaissance du Somaliland est considérée par beaucoup dans le monde arabe comme la poursuite d'une stratégie visant à affaiblir les États arabes et musulmans centralisés en encourageant les mouvements sécessionnistes périphériques.
Dans le contexte somalien, cette voie est perçue non pas comme un geste humanitaire, mais comme une méthode visant à saper les accords nationaux conclus dans le cadre d'une Somalie fédérale.

Selon l'ambassadeur Bamakhrama, la communauté internationale s'est toujours opposée à de telles initiatives afin de donner la priorité à la stabilité régionale plutôt qu'aux "tendances séparatistes dont l'histoire a maintes fois démontré les dangers et les coûts élevés".

En ignorant ce précédent, Israël est accusé d'utiliser la reconnaissance comme un outil pour fragmenter la cohésion régionale.

Par le passé, Israël a souvent justifié son soutien à des acteurs non étatiques ou à des groupes séparatistes en prétextant la protection de minorités vulnérables, comme les Druzes au Levant ou les Maronites au Liban.

Cette "doctrine de la périphérie" avait un double objectif : elle créait des alliés régionaux et soutenait la revendication d'Israël en tant qu'État juif en validant l'idée d'autodétermination ethnique ou religieuse.

Toutefois, dans le cas du Somaliland, les gants ne sont plus du tout de mise. Il ne s'agit pas ici de protéger une minorité religieuse, puisque le Somaliland est un territoire à forte majorité musulmane. Il s'agit plutôt d'un raisonnement purement géopolitique.

Israël semble rechercher une profondeur stratégique dans une région où il a toujours été isolé. M. Netanyahu a explicitement lié cette initiative à "l'esprit des accords d'Abraham", indiquant que les principaux moteurs sont la sécurité, le contrôle maritime et la collecte de renseignements plutôt que la démographie interne de la Corne de l'Afrique.

La première grande victoire d'Israël dans cette manœuvre est l'élargissement de son orbite diplomatique. On pourrait faire valoir que le refus du gouvernement fédéral de Mogadiscio d'adhérer aux accords d'Abraham constituait une barrière artificielle.


Des habitants brandissent des drapeaux du Somaliland alors qu'ils se rassemblent dans le centre-ville d'Hargeisa le 26 décembre 2025, pour célébrer l'annonce d'Israël reconnaissant le statut d'État du Somaliland. (AFP)
La preuve de cette affirmation, du point de vue israélien, est que le Somaliland - un territoire comptant près de six millions d'habitants et doté de ses propres institutions démocratiques - était désireux d'adhérer à l'accord.

M. Abdullahi a déclaré que le Somaliland rejoindrait les accords d'Abraham en tant que "pas vers la paix régionale et mondiale". Toutefois, cette paix s'accompagne d'une contrepartie évidente : la reconnaissance officielle.

Israël peut désormais affirmer que le "modèle du Somaliland" prouve que de nombreuses autres entités arabes et musulmanes sont disposées à normaliser leurs relations si leurs intérêts politiques ou territoriaux spécifiques sont satisfaits.

Cela remet en question la position unifiée de la Ligue arabe et de l'Organisation de la coopération islamique, qui maintiennent que la normalisation doit être liée à la résolution du conflit palestinien.


Le deuxième gain majeur pour Israël est la possibilité d'une présence militaire dans la Corne de l'Afrique. La position stratégique du Somaliland dans le golfe d'Aden, près du détroit de Bab Al-Mandab, en fait un lieu privilégié pour la surveillance du trafic maritime.

Il s'agit d'une bombe à retardement étant donné que de l'autre côté de cette mer étroite se trouve le Yémen, où le mouvement Houthi - dont le slogan est "Mort à Israël" - contrôle un territoire important.

Israël peut prétendre qu'une présence militaire ou de renseignement au Somaliland renforcera la sécurité régionale en contrant les menaces des Houthis sur la navigation. Toutefois, les voisins de la région craignent que cette présence n'attise les tensions.

L'ambassadeur Bamakhrama a prévenu qu'une présence militaire israélienne "transformerait effectivement la région en une poudrière".


"Si Israël décidait d'établir une base militaire dans un endroit géopolitiquement sensible, cela serait perçu à Tel-Aviv comme un gain stratégique dirigé contre les États arabes bordant la mer Rouge, à savoir l'Égypte, l'Arabie saoudite, la Somalie, le Yémen, le Soudan et Djibouti", a-t-il déclaré.

La mer Rouge est un "corridor maritime international vital" et toute modification de son équilibre géopolitique aurait des "répercussions bien au-delà de la région", a-t-il ajouté.

Cette reconnaissance constitue également une violation flagrante du droit international et du principe d'intégrité territoriale inscrit dans la Charte des Nations unies.

Si les partisans de la reconnaissance font état d'exceptions telles que le Sud-Soudan ou le Kosovo, il n'en reste pas moins que ces cas impliquaient des circonstances très différentes, notamment des conflits génocidaires prolongés et de vastes transitions sous l'égide des Nations unies.

En revanche, l'Union africaine a toujours affirmé que le Somaliland faisait partie intégrante de la Somalie.
 

La réaction a été rapide et sévère. La Ligue arabe, le Conseil de coopération du Golfe et l'OCI ont tous décrié cette décision. Même le président américain Donald Trump, qui a pourtant joué un rôle dans les accords d'Abraham, n'a pas approuvé la décision d'Israël.

Lorsqu'on lui a demandé si Washington suivrait le mouvement, M. Trump a répondu par un "non" catégorique, ajoutant : "Est-ce que quelqu'un sait vraiment ce qu'est le Somaliland ?"

Ce manque de soutien de la part de Washington souligne l'isolement de la position d'Israël. L'OCI et les ministres des affaires étrangères de 21 pays ont publié une déclaration commune mettant en garde contre de "graves répercussions" et rejetant tout lien potentiel entre cette reconnaissance et les projets de déplacement des Palestiniens de Gaza vers la région africaine.

La reconnaissance du Somaliland par Israël semble être un pari calculé visant à échanger des normes diplomatiques contre un avantage stratégique.

Alors que Hargeisa célèbre une étape longtemps attendue, le reste du monde y voit un dangereux précédent qui menace de déstabiliser l'un des couloirs les plus instables du monde.

Comme le dit l'ambassadeur Bamakhrama, l'établissement de tels liens "ferait d'Israël le premier et le seul État à rompre avec le consensus international" - une décision qui donne la priorité à des "calculs stratégiques étroits" plutôt qu'à la stabilité du système international.


La coalition arabe met en garde contre toute action militaire compromettant la désescalade au Yémen

Des membres yéménites des tribus Sabahiha de Lahj lors d'un rassemblement pour manifester leur soutien au Conseil de transition du Sud (STC) dans la ville portuaire côtière d'Aden, le 14 décembre 2025. (AFP)
Des membres yéménites des tribus Sabahiha de Lahj lors d'un rassemblement pour manifester leur soutien au Conseil de transition du Sud (STC) dans la ville portuaire côtière d'Aden, le 14 décembre 2025. (AFP)
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  • Le porte-parole de la coalition, le général de division Turki Al-Maliki, a indiqué que cet avertissement fait suite à une demande du Conseil présidentiel yéménite pour prendre des mesures urgentes

DUBAÏ : La coalition arabe soutenant le gouvernement yéménite internationalement reconnu a averti samedi que tout mouvement militaire compromettant les efforts de désescalade serait traité immédiatement afin de protéger les civils, a rapporté l’Agence de presse saoudienne.

Le porte-parole de la coalition, le général de division Turki Al-Maliki, a déclaré que cet avertissement fait suite à une demande du Conseil présidentiel yéménite visant à prendre des mesures urgentes pour protéger les civils dans le gouvernorat de Hadramout, face à ce qu’il a qualifié de graves violations humanitaires commises par des groupes affiliés au Conseil de transition du Sud (CTS).

Le communiqué précise que ces mesures s’inscrivent dans le cadre des efforts conjoints et continus de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis pour réduire les tensions, faciliter le retrait des forces, remettre les camps militaires et permettre aux autorités locales d’exercer leurs fonctions.

Al-Maliki a réaffirmé le soutien de la coalition au gouvernement yéménite internationalement reconnu et a appelé toutes les parties à faire preuve de retenue et à privilégier des solutions pacifiques, selon l’agence.

Le CTS a chassé ce mois-ci le gouvernement internationalement reconnu de son siège à Aden, tout en revendiquant un contrôle étendu sur le sud du pays.

L’Arabie saoudite a appelé les forces du CTS à se retirer des zones qu’elles ont prises plus tôt en décembre dans les provinces orientales de Hadramout et d’Al-Mahra.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com