Nouvelles effusions de sang entre Israéliens et Palestiniens

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Publié le Dimanche 21 mai 2023

Nouvelles effusions de sang entre Israéliens et Palestiniens

Nouvelles effusions de sang entre Israéliens et Palestiniens
  • Israël a pris pour cible un nombre remarquable de dirigeants et d’agents du Jihad islamique et du Hamas depuis son arrivée au pouvoir à Gaza en 2007, mais cela n’a pas empêché les deux organisations de reconstituer leurs capacités militaires
  • En l’absence de voies de communication directes entre les Israéliens et les dirigeants de Gaza, la présence d’un tiers médiateur s’est avérée cruciale et, dans ce cas, c’est l’Égypte qui remplit ce rôle

Il serait légitime de ressentir un fort sentiment de déjà vu, puisqu’une fois de plus, nous sommes obligés de remettre en question la raison d’être de la dernière série d’hostilités entre Israéliens et Palestiniens à Gaza avec, cette fois, le Jihad islamique comme adversaire spécifique d’Israël.

Comme on pouvait s’y attendre, les deux parties ont déclaré la victoire, mais aucune des deux n’a de preuves solides pour étayer cette affirmation. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou annonce, avec ses propos pompeux habituels, qu’Israël «réécrit l’équation» dans ses relations avec Gaza, déclarant à son gouvernement que les Forces de défense israéliennes et l’agence de sécurité du Shin Bet «avaient éliminé tous les dirigeants du Jihad islamique palestinien» et, ce faisant, rempli pleinement les objectifs de la mission.

Le Jihad islamique, pour sa part, a incité ses partisans à remplir les rues de Gaza après la déclaration d’un cessez-le-feu, agitant des drapeaux palestiniens et faisant le signe de la victoire à partir de véhicules à grande vitesse.

Le terme de victoire à la Pyrrhus – une victoire en théorie seulement, obtenue au prix de lourdes pertes – a été inventé pour décrire ce genre de situation.

Israël n’a pas été vainqueur lors de ce cycle d’hostilités. L’État hébreu n’a par ailleurs remporté aucun de ses précédents affrontements à Gaza. S’il avait gagné l’une de ces «opérations» militaires, qui ont toutes coûté la vie à de nombreux Palestiniens (pour la plupart des non-combattants) et infligé de terribles ravages, il n’aurait pas ressenti la nécessité de lancer une nouvelle série de raids aériens et de bombardements, comme la semaine dernière.

Israël a pris pour cible un nombre remarquable de dirigeants et d’agents du Jihad islamique et du Hamas depuis son arrivée au pouvoir à Gaza en 2007, mais cela n’a pas empêché les deux organisations de reconstituer leurs capacités militaires.

La mort des principaux militants du Jihad islamique est certes un coup dur pour l’organisation, mais elle ne change pas la nature des relations entre Israël et la bande de Gaza, qui fonctionne à toutes fins utiles comme une entité politique indépendante de facto, avec laquelle Israël ne veut pas s’engager politiquement et qu’il est impossible de vaincre sur le plan militaire.

Ces deux données dictent l’approche punitive d’Israël envers Gaza et son peuple, avec une absence correspondante de toute stratégie viable à long terme.

Au bout de cinq autres jours d’effusion de sang, ce n’est qu’une question de temps avant que le Jihad islamique ne remplace les personnes tuées. Pendant ce temps, ce sont principalement les Gazaouis ordinaires, comme d’habitude, qui payent les pots cassés.

Les chiffres disponibles brossent un tableau sombre: trente-cinq Palestiniens tués, parmi lesquels il y a au moins treize civils, dont six enfants, et 147 Palestiniens blessés – sachant que de nombreux le sont grièvement, dont 48 enfants.

Ce sont des chiffres horribles qui ne font que perpétuer le conflit. Ils ne «changent pas l’équation» (quoi que ça veuille dire) comme le prétend Netanyahou, mais renforcent simplement un modèle existant de relations entre les deux antagonistes. Détruire ou endommager des centaines de maisons, laissant des familles déplacées et sans abri, ne garantit pas la paix et le calme à Israël le long de sa frontière avec Gaza.

Les affirmations basées sur l’audace des dirigeants israéliens qui auraient vaincu l’ennemi ne sont rien de plus qu’un moyen de laisser traîner les choses, puisqu’aucun gouvernement israélien n’a jusqu’à présent eu le courage d’admettre à lui-même, et encore moins au public israélien, qu’il n’y a pas de solution militaire – souhaitable en tout cas – à Gaza, mais seulement une solution politico-diplomatique.

La futilité de ce qu’Israël appelle une «opération» ressemble plus à une guerre pour ceux qui vivent à Gaza. En plus de la destruction physique, cette guerre laisse également d’énormes séquelles psychologiques, en particulier chez les jeunes.

Cela a pris forme assez rapidement lorsque, en quelques jours, Israël a manqué de «banque de cibles» et, à ce moment-là, avait désespérément besoin de parvenir à un accord de cessez-le-feu. Après tout, plus les militants – dans ce cas le Jihad islamique – sont capables de tirer des roquettes, plus Israël est perçu comme étant à la traîne dans ses efforts de dissuasion malgré des capacités militaires largement supérieures.

«Israël n’a pas été vainqueur lors de ce cycle d’hostilités. L’État hébreu n’a par ailleurs remporté aucun de ses précédents affrontements à Gaza.»-

 

Yossi Mekelberg

Israël court également le risque de pousser le Hamas à se joindre au conflit, augmentant ainsi la possibilité que les hostilités s’étendent à la Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et même à Israël proprement dit, comme c’était le cas il y a deux ans.

Du point de vue du Jihad islamique, et malgré les pertes qu’il a subies, sa capacité à continuer de tirer des roquettes et à perturber des vies au plus profond d’Israël est peut-être loin d’être une victoire, mais il maintient la lutte militaire en vie et, avec cela, la pertinence de cette petite organisation.

Cependant, ces «exploits» sont aussi creux que ceux déclarés par les Israéliens, étant donné qu’ils n’améliorent nullement la vie des Palestiniens, ni ne les rapprochent de l’État, surtout pas en prenant les civils pour cible. Ils ne font que donner au gouvernement israélien une excuse pour semer la mort et la destruction dans toute la bande de Gaza et imposer des restrictions encore plus sévères lors des entrées et sorties.

Ces cinq derniers jours inutiles de mort et de destruction n’ont manifestement pas réussi à inciter le Hamas à se joindre à la bataille. Il y a une leçon à tirer de la décision de la direction de cette organisation d’éviter la confrontation.

Les cyniques pourraient suggérer que le Hamas n’a pas versé de larmes en voyant son plus petit rival subir des pertes. Bien qu’il puisse y avoir une part de vérité là-dedans, le Hamas était néanmoins également sous pression pour réagir car, en tant qu’organe directeur de ce territoire, il a la responsabilité de protéger son peuple, d’autant plus que des civils ont également été victimes des attaques israéliennes.

Cependant, et pas pour la première fois, ses dirigeants ont fait preuve d’un degré notable de pragmatisme en reconnaissant qu’ils n’ont rien à gagner en intensifiant et en prolongeant les hostilités, mais beaucoup à perdre.

Actuellement, les autorités israéliennes accordent des permis de travail à 18 000 Gazaouis, ce qui fait une différence considérable pour l’économie locale et les impôts que le Hamas est en mesure de percevoir. En outre, cela permet à environ 350 camions d’entrer chaque jour à Gaza, atténuant ainsi certaines pénuries de marchandises. Dans le contexte de l’impasse au niveau de la recherche d’une solution à long terme, cela offre au moins une possibilité d’engagement entre Israéliens et Palestiniens, même si elle doit se faire par l’intermédiaire d'un tiers, dans le but d’améliorer la vie des 2,2 millions de Palestiniens de Gaza.

De plus, en l’absence de voies de communication directes entre les Israéliens et les dirigeants de Gaza, la présence d’un tiers médiateur s’est avérée cruciale et, dans ce cas, c’est l’Égypte qui  remplit ce rôle.

Cependant, les tentatives qui visent à empêcher d’autres bains de sang et destructions inévitables exigent que ces efforts se poursuivent. Tant que le blocus imposé à Gaza se poursuivra, la région restera un foyer de radicalisme et de conflit. Pour réduire la probabilité d’un affrontement armé, il faut atténuer la crise humanitaire extrême créée par le blocus israélien, notamment en y mettant fin.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com