Il est des moments dans l’histoire où l’on se rend compte que plus rien ne sera jamais comme avant. C’est ce que ressentent la plupart des Israéliens en ce moment. Au cours des six derniers mois, on remarque de plus en plus que le pays a irréversiblement changé et que la confiance est profondément ébranlée entre le gouvernement et de grandes parties de la société.
Mardi dernier, on a assisté à un moment décisif dans cette crise prolongée. De nombreuses personnes en Israël et à l’extérieur du pays ont eu le sentiment inquiétant que leur gouvernement ne faisait pas semblant, mais qu’il avait déclaré la guerre par tous les moyens au régime démocratique du pays et à la majorité de la population qui revendique avec insistance le maintien de sa nature libérale-démocrate.
En votant un projet de loi visant à affaiblir le pouvoir judiciaire et à placer ainsi l’exécutif au-dessus des autres branches du gouvernement, la coalition au pouvoir a montré ses vraies couleurs anti-démocratiques. Pour couronner le tout, elle a également déployé des agents de police pour réprimer brutalement ceux qui manifestaient, les blessant et arrêtant plus de personnes que jamais auparavant lors des plus grandes manifestations de rue de l’histoire du pays. Et le pire est encore à venir. Ce n’est que le début. La situation devrait bien plus se dégrader dans les semaines et les mois à venir.
Lorsque le projet de loi visant à annuler la norme de la décision raisonnable a été adopté en deuxième et troisième lectures à la Knesset, il a mis fin à la capacité de la Cour suprême d’annuler toute décision gouvernementale qu’elle juge déraisonnable. En retirant ce pouvoir au pouvoir judiciaire, la coalition d’extrême droite adresse un message clair que le gouvernement peut désormais agir en toute impunité et sans responsabilité, reléguant les tribunaux, jusqu’à présent gardiens au nom du public, au rang de simples observateurs.
Ce n’est pas seulement la législation, aussi alarmante soit-elle, mais aussi les fissures profondes devenues douloureusement apparentes dans la société israélienne, qui devraient inquiéter quiconque a le moindre sens des responsabilités quant à l’avenir du pays et de son peuple. Et bien que de nombreux membres du gouvernement aient contribué à saper le système judiciaire et à semer la division et la haine, le principal coupable n’est autre que le Premier ministre Benjamin Netanyahou.
Personne ne devrait douter de la fragilité du système démocratique d’Israël avant que le sixième gouvernement de Netanyahou ne prête serment. Il était bien évidemment fragile. De plus, personne ne devrait penser que les profondes divisions sociales au sein du pays ont brusquement vu le jour, puisqu’elles sont aussi anciennes que l’État lui-même et en font partie intégrante. Cependant, à aucun moment de la courte histoire du pays, ces clivages sociaux n’ont été exploités aussi cyniquement et sans scrupules par une seule personne, comme ils l’ont été par Netanyahou, avec un objectif initial: celui de rester indéfiniment au pouvoir. Plus tard, il en a également profité pour faire dérailler son procès pour corruption. Si jamais il était reconnu coupable, il aurait alors nommé suffisamment de copains à des postes-clés pour pouvoir annuler cette décision. Pour éviter la justice, il est prêt à mentir et à tromper. Il est prêt à trahir tout principe qu’il aurait pu prétendre défendre auparavant.
«Alors que la Knesset prend ses vacances d’été, le pays est plus divisé que jamais et en proie aux incertitudes ».- Yossi Mekelberg
Ne vous méprenez pas, le dernier projet de loi visant à renverser la norme de la décision raisonnable n’est ni la première ni la dernière tentative du gouvernement d’éroder le système démocratique et de donner plus de pouvoir à l’exécutif aux dépens du judiciaire. À en juger par le dossier douteux de certains membres du gouvernement, qui comprend des condamnations pour corruption et soutien à un groupe terroriste, et compte tenu que la plupart d’entre eux méprisent la notion de démocratie libérale, nous pouvons être certains que ce gouvernement est déterminé à conduire le pays vers la voie désastreuse de l’autoritarisme, imposant de plus en plus la juridiction juive sur tout le territoire.
Alors que la Knesset prend ses vacances d’été, le pays est plus divisé que jamais et en proie aux incertitudes. Les flambées de violence deviennent de plus en plus fréquentes. Les scènes choquantes de manifestants blessés par des policiers ou des canons à eau devraient alarmer tout le monde. Pour l’instant, dans la bataille entre la coalition anti-démocratique et le mouvement pro-démocratie, le gouvernement a remporté une victoire significative, qui pourrait conduire à davantage de législation sur la voie d'un système politique semi-autoritaire susceptible d’inclure des éléments forts à domination ultra-orthodoxe. Mais cette guerre est loin d’être terminée. À plus long terme, les manifestants pro-démocratie resteront la base de la sécurité et de la prospérité d’Israël, et cette administration effroyable continuera d’ignorer, à ses risques et périls, les demandes soutenues par la majeure partie de la société israélienne.
Au lendemain de l’annulation par la Knesset de la norme de la décision raisonnable, les institutions financières internationales ont fait part de leurs inquiétudes. Morgan Stanley a rétrogradé la note de crédit souverain du pays, tandis que le shekel a perdu de sa valeur et que les cours ont fortement chuté à la bourse de Tel-Aviv. Par ailleurs, des milliers de réservistes qui occupent des postes militaires-clés ont signé des lettres annonçant qu’ils ne feront plus de bénévolat, tandis que d’autres secteurs envisagent des grèves et que beaucoup ont l’intention de quitter le pays. Le tableau sombre de la destruction que ce gouvernement inflige au pays devient de plus en plus évident.
Ce n’est certainement pas fini pour ceux qui s’opposent au gouvernement. Ils ont le leadership, la détermination, la conviction et les outils nécessaires pour maintenir leur résistance active face à un gouvernement qui n’a pas à cœur les intérêts de son peuple.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com