Suspendre le financement à l’Unrwa est immoral et préjudiciable

Punir l’Unrwa, et donc les bénéficiaires de ses services humanitaires, est immoral et extrêmement préjudiciable. (AFP)
Punir l’Unrwa, et donc les bénéficiaires de ses services humanitaires, est immoral et extrêmement préjudiciable. (AFP)
Short Url
Publié le Mercredi 07 février 2024

Suspendre le financement à l’Unrwa est immoral et préjudiciable

Suspendre le financement à l’Unrwa est immoral et préjudiciable
  • Ni Israël ni ceux qui ont décidé de suspendre tout financement à l’Unrwa ne mentionnent les 152 travailleurs humanitaires de l’agence tués pendant cette guerre
  • Punir l’Unrwa, c’est condamner des millions de personnes innocentes à davantage de misère et de souffrances, ce qui ne peut être justifié

En temps de guerre, la tactique qui consiste à détourner l’attention de ses propres actes répréhensibles en mettant en avant les torts des autres est vieille comme le conflit. La semaine dernière, la machine de relations publiques israélienne s’est concentrée sur l’organisation qui, depuis soixante-quinze ans, est chargée de fournir une aide humanitaire aux réfugiés palestiniens résidant au Moyen-Orient.

La colère d’Israël face à l’implication directe de douze employés de l’Office de secours et de travaux des nations unies (Unrwa) dans le massacre du 7-Octobre est compréhensible et justifiée. Dire qu’il n’y a pas eu de révélation plus embarrassante et préjudiciable dans l’histoire de cette organisation est une évidence. Cependant, l’appel à mettre fin au financement de l’Unrwa ainsi que le soutien de certains gouvernements à cet appel sont des réactions instinctives qui s’apparentent à une trahison envers les nombreuses victimes palestiniennes des guerres actuelles et précédentes, au moment où elles ont le plus désespérément besoin d’aide.

Si les attaques incontrôlées d’Israël contre l’Unrwa avaient commencé lorsque l’implication de certains employés dans l’attaque terroriste du Hamas le 7-Octobre et leur rôle dans la prise d’otages ont été prouvés, on y aurait pu voir quelque légitimité. Cependant, la situation actuelle fait suite à des années d’accusations venimeuses et en grande partie sans fondement.

L’organisation a été attaquée en raison de son existence même, parce qu’elle serait de mèche avec des terroristes, parce qu’elle perpétue la tragédie des réfugiés palestiniens, parce qu’elle est corrompue, parce qu’elle n’est pas d’une grande valeur pour ses bailleurs de fonds et parce qu’elle est généralement anti-israélienne. Elle est devenue le bouc émissaire de l’échec politique – dont Israël est en grande partie responsable – à mettre fin au conflit israélo-palestinien et à trouver une solution satisfaisante au sujet du sort et du statut juridique des réfugiés.

«Il n’y a aucune raison pour que ces pays suspendent leur financement à l’agence en ce moment crucial pour le peuple de Gaza.»

- Yossi Mekelberg

Rien ne peut justifier la participation d’un employé de l’ONU à un acte de terrorisme et, dans ce cas, la réponse des dirigeants de l’Unrwa a été tout à fait correcte. Le commissaire général de l’organisme, Philippe Lazzarini, a immédiatement annoncé: «Afin de protéger la capacité de l’agence à fournir une aide humanitaire, j’ai pris la décision de résilier immédiatement les contrats de ces membres du personnel et d’ouvrir une enquête afin de rétablir rapidement la vérité.»

Telle est la réaction à laquelle il fallait s’attendre de la part de l’organisation, même si sa réponse reposait sur des informations fournies par les Israéliens avant même la clôture de sa propre enquête interne. Toutefois, pour des raisons à la fois morales et pratiques, je n’ose imaginer l’état de choc et la consternation des responsables de l’Unrwa et de l’ensemble du système des Nations unies une fois qu’ils seront informés de l’implication d’un certain nombre de leurs collaborateurs dans l’attaque du 7-Octobre.

L’hystérie délibérée que les porte-parole israéliens ont immédiatement manifestée en appelant à suspendre tout financement à l’Unrwa, à la lumière de l’hostilité de longue date d’Israël à l’égard de l’agence, n’était que prévisible. Mais la position d’Israël apparaît confuse au sujet de ceux qu’il combat à Gaza: s’agit-il du Hamas ou de ces travailleurs humanitaires qui mettent leur vie en péril pour fournir un abri, une aide médicale, de la nourriture, de l’eau et, oui, un peu de dignité à ceux qui étaient déjà des réfugiés et sont maintenant à nouveau déplacés par cette horrible guerre?

Voici quelques statistiques nécessaires pour prendre un peu de recul. L’Unrwa emploie environ 13 000 Palestiniens à Gaza, sur 30 000 au total dans la région. La plupart d’entre eux sont des réfugiés. Selon les renseignements israéliens, 190 d’entre eux seraient des membres du Hamas ou du Djihad islamique palestinien, et 1 200 auraient des «liens» avec ces organisations. Cela peut signifier, par exemple, qu’un ou plusieurs membres de la famille ou des amis fassent éventuellement partie de ces groupes, ce qui, en soi, ne constitue pas une raison pour ne pas les employer.

Si les informations israéliennes sont exactes, elles ne représentent qu’une infime proportion des effectifs de l’Unrwa. Ce problème doit certes être résolu, mais ce n’est pas une raison pour que neuf pays, parmi lesquels les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada, suspendent leur financement à l’agence en ce moment crucial pour le peuple de Gaza.

Ni Israël ni ceux qui ont décidé de suspendre tout financement à l’Unrwa ne mentionnent que 152 travailleurs humanitaires de l’agence ont déjà été tués pendant cette guerre ou que nombre d’entre eux font partie des très nombreux autres Gazaouis déplacés (1,7 million), ce qui représente plus des trois quarts de la population déplacée. Certaines personnes ont été contraintes de se déplacer à plusieurs reprises en raison des bombardements incessants et des attaques terrestres d’Israël et, malgré le manque permanent de ressources, les installations et l’aide de l’Unrwa demeurent leur seul espoir.

«Israël aimerait voir la question des réfugiés disparaître dans la nature. L’existence même de l’Unrwa est un rappel des plus gênants.»

- Yossi Mekelberg

Derrière la gravité des accusations portées par Israël contre quelques membres du personnel de l’agence se cache un agenda bien plus large qui constitue la véritable source de tant de haine israélienne dirigée contre l’Unrwa. Israël aimerait voir la question des réfugiés disparaître dans la nature. L’existence même de l’Urawa est un rappel des plus gênants de la question des réfugiés palestiniens et du rôle joué par Israël dans sa création – et dans le fait qu’elle soit restée sans solution depuis.

Les habitants de Gaza resteront à Gaza après la fin de la guerre, qu’Israël les reconnaisse ou non. Beaucoup d’autres sont désormais réfugiés et déplacés. Il existe une responsabilité internationale de les protéger et de leur fournir une aide humanitaire.

L’appel d’Israël à suspendre tout financement à l’Unrwa est l’un des plus anciens bluffs de sa politique à l’égard des Palestiniens. En effet, si l’Unrwa est démantelée, c’est Israël, en tant que pays occupant, qui sera responsable du bien-être des réfugiés, du moins en Cisjordanie et à Gaza. Et s’ils sont privés de services médicaux, d’éducation, d’aide financière et d’abri, la colère sera avant tout dirigée contre Israël, et à juste raison.

En outre, la disparition de l’Unrwa entraînerait la perte de milliers d’emplois pour les réfugiés, avec toutes les implications liées à une telle évolution, sans parler du fait que ces personnes sont susceptibles de devenir les piliers d’un futur État palestinien indépendant. Dans d’autres pays hôtes, la suspension du financement à l’Unrwa constituera un facteur de déstabilisation supplémentaire dans une région déjà au bord d’un conflit armé généralisé.

La nécessité pour l’Unrwa de discipliner ceux qui ont jeté le discrédit sur l’organisation est incontestable. Cependant, punir l’ensemble de l’agence – et donc les bénéficiaires de ses services humanitaires – est immoral et extrêmement préjudiciable. Ce serait condamner des millions de personnes innocentes à davantage de misère et de souffrances, ce qui ne peut être justifié. Et pour ceux qui veulent que l’Unrwa disparaisse, voici votre défi: trouver une solution de rechange viable qui ne compromette pas le bien-être de millions de réfugiés et leur aspiration à l’autodétermination aux côtés d’Israël.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne. X: @YMekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com