Abaissement de la note de l’économie d’Israël

Moody’s a abaissé la note de la dette d’Israël de A1 à A2, prévenant du fait que la guerre actuelle pourrait avoir un impact négatif sur son économie. (AFP)
Moody’s a abaissé la note de la dette d’Israël de A1 à A2, prévenant du fait que la guerre actuelle pourrait avoir un impact négatif sur son économie. (AFP)
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Publié le Samedi 24 février 2024

Abaissement de la note de l’économie d’Israël

Abaissement de la note de l’économie d’Israël
  • Il s’agit non seulement de la première dégradation de la note dans l’Histoire d’Israël, mais elle s’accompagne également de perspectives négatives, laissant présager une possible nouvelle baisse de sa notation de crédit
  • Le défi va au-delà de la guerre elle-même et concerne l’état de conflit chronique que le gouvernement israélien actuel s’efforce de prolonger

Dans un langage propre à celui des affaires, comme l’on pourrait s'y attendre de la part d'une société de services financiers, Moody's a annoncé ce mois-ci qu'elle abaissait la note de la dette d'Israël de A1 à A2, prévenant du fait que la guerre actuelle à Gaza, ainsi qu’une éventuelle guerre dans le nord avec le Hezbollah, pourrait avoir un impact négatif sur l'économie du pays.

Il s’agit non seulement de la première dégradation de la note dans l’Histoire d’Israël, mais elle s’accompagne également de perspectives négatives, laissant présager une possible nouvelle baisse de sa notation de crédit. Il ne fait aucun doute que la guerre à Gaza a contribué à cette évolution inquiétante de l’économie israélienne, mais la principale raison en revient au Premier ministre, Benjamin Netanyahou, et à son gouvernement. En particulier, son absence de stratégie cohérente concernant la fin de la guerre, ainsi que la présence d'un grand nombre de ministres partisans, antidémocratiques et dépourvus de toute compréhension de l'économie, sans parler de son fonctionnement à l’échelle mondiale.

À court terme, l'impact de cette dégradation sera limité, mais elle envoie un signal clair aux marchés financiers mondiaux: si la guerre continue, l'économie israélienne ne se portera pas aussi bien que dans le passé, rendant probables de nouvelles dégradations. La raison immédiate de cette dégradation est compréhensible, puisque Moody’s estime que le fardeau de la dette d’Israël sera considérablement plus élevé que prévu avant le conflit. Si cette trajectoire se révèle exacte, elle entraînera une augmentation des taux d’intérêt, et avec elle, une augmentation du coût de financement de la dette publique, ainsi qu’une augmentation du coût de la vie pour tous.

Les perspectives négatives sont encore plus importantes, car elles signalent d’éventuelles dégradations futures, pour des raisons qui vont bien au-delà de l’impact du conflit militaire actuel contre les Palestiniens et des risques économiques et politiques qui en découlent. Le doigt est clairement pointé sur l’affaiblissement inconsidéré par le gouvernement des «institutions, tant au niveau exécutif que législatif, ainsi que de sa solidité budgétaire, dans un avenir prévisible».

Cette détérioration de la bonne gouvernance et de la responsabilité n’a pas commencé le 7 octobre, mais de manière plus déterminante avec la formation du sixième gouvernement Netanyahou, et elle se poursuit aussi négligemment que la guerre continue.

Benjamin Netanyahou a encore altéré davantage les fondements économiques du pays, tout en compromettant la sécurité d’Israël.

Yossi Mekelberg

Dans ses tentatives d’échapper à la justice dans son procès pour corruption, et de rester indéfiniment au pouvoir, M. Netanyahou s’est montré prêt à mettre en danger les structures démocratiques de son pays, notamment la séparation des pouvoirs et les mécanismes de contrôle des actions gouvernementales. Il a également confié le très important ministère des Finances à quelqu’un n’ayant même pas les qualifications minimales pour ce poste, et il a distribué de manière inappropriée d’énormes sommes d’argent public pour satisfaire ses partenaires de la coalition. Ainsi, Benjamin Netanyahou a encore altéré davantage les fondements économiques du pays, tout en compromettant la sécurité d’Israël.

La guerre est indéniablement une affaire coûteuse et chaque jour de guerre mené par Israël à Gaza coûterait à son économie 260 millions de dollars (1 dollar = 0,92 euro). En conséquence, le total des émissions de dette a déjà atteint près de 58 milliards de dollars, soit une augmentation de près d’un tiers par rapport à l'année dernière.

En réponse à la dégradation de la notation de crédit, M. Netanyahou – dans une piètre tentative de détourner l'attention de la contribution de son administration à l'état précaire de l'économie et à son incapacité à empêcher le désastre du 7 octobre et la guerre qui a suivi – a affirmé qu'il n'y avait «aucune raison de s'inquiéter», parce que «l'économie israélienne est forte. Cette dégradation n’est pas liée à l’économie, mais elle est entièrement due au fait que nous sommes en guerre.» Sa conclusion était que «la notation augmentera dès que nous aurons gagné la guerre – et nous la gagnerons».

Pourtant, au-delà de l’opportunité de faire une autre promesse de gagner la guerre sans définir à quoi ressemblera la victoire, à quel prix elle se produira ou ce qui se passera après, Benjamin Netanyahou a commodément ignoré que les sombres perspectives établies par Moody’s étaient bien plus en rapport avec ses mesures visant à affaiblir le système judiciaire, et son gouvernement d'extrême droite, cupide et incompétent, notamment dans la manière dont il mène la guerre. Une situation qui aura des conséquences à long terme sur la façon dont le pays est perçu et traité dans la région, ainsi que par le reste de la communauté internationale.

Le décalage entre les arguments de l’agence de notation américaine pour sa décision et la réponse de M. Netanyahou représente un déni délibéré de la réalité qui a été démontré à maintes reprises au cours des quatre derniers mois. Autrement dit, sans une résolution pacifique de ce conflit de longue date avec les Palestiniens, qui doit commencer par un plan pour l’après-guerre à Gaza, l’économie d’Israël restera précaire.

Il y a quelque chose dans ce gouvernement et dans cette guerre qui n’inspire pas confiance, que ce soit à l’intérieur du pays ou à l’étranger.

Yossi Mekelberg

Le défi va au-delà de la guerre elle-même et concerne l’état de conflit chronique que le gouvernement israélien actuel s’efforce de prolonger. Israël a connu d’autres épisodes de violente confrontation depuis le commencement de cette notation de crédit en 1998, notamment la désastreuse seconde Intifada et la Deuxième Guerre du Liban, sans que sa cote de crédit en soit affectée. Il y a quelque chose dans ce gouvernement et dans cette guerre qui n’inspire pas confiance, que ce soit à l’intérieur du pays ou à l’étranger.

Les marchés sont toujours préoccupés par le comportement arbitraire des gouvernements et les attaques du gouvernement israélien actuel contre l’indépendance du pouvoir judiciaire (ainsi que le fait que la coalition au pouvoir place la corruption au cœur de la vie publique) qui détruisent l’économie et ses perspectives. Mais ce n’est pas seulement la distorsion de l’économie et de la société du pays infligée par le gouvernement de Benjamin Netanyahou; la forte nature sectorielle et rétrograde de sa coalition sert aussi, intrinsèquement, certaines parties de la population, et pas d’autres.

Il s'agit d'une coalition qui, en raison de sa composition, alloue davantage de fonds aux ultra-orthodoxes, qui contribuent le moins à l'économie, et aux communautés de colons qui contribuent le plus à prolonger le conflit avec les Palestiniens, et empêchent ainsi l’établissement de la paix ainsi que la normalisation des relations avec davantage de pays de la région. Le budget de l’État israélien comprend ce que l’on appelle les «fonds de coalition» – des dépenses discrétionnaires réservées aux ultraorthodoxes et à ceux qui représentent les colons. Lorsque des coupes budgétaires ont été opérées pour financer la guerre actuelle, ces fonds sont restés inchangés.

Au-delà des sommes d'argent allouées à ces secteurs, cela dénote des caprices néfastes d'un gouvernement qui récompense les éléments improductifs de la société au détriment de ceux qui génèrent l'essentiel des richesses d'Israël et qui, en temps de guerre, contrairement aux ultraorthodoxes, risquent également leur vie en y combattant.

À juste titre, l’abaissement de la notation de crédit d’Israël est un verdict sur le gouvernement et sur la manière dont il gère la guerre et l’économie et sur la façon dont il gaspille le vaste potentiel économique du pays. Mais comme pour d’autres maux qui affligent la société israélienne, en constatant le soutien témoigné à M. Netanyahou et à ses alliés politiques, cela permettra à Israël de redevenir très apprécié par la communauté internationale.

 

• Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord du groupe de réflexion sur les affaires internationales Chatham House. X: @YMekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com