Comment la Turquie peut éviter que la guerre ne s’étende au Liban

Un soldat turc agite le drapeau national sur le mont Barsaya, au nord-est d’Afrin, en Syrie, en janvier 2018. (Reuters)
Un soldat turc agite le drapeau national sur le mont Barsaya, au nord-est d’Afrin, en Syrie, en janvier 2018. (Reuters)
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Publié le Dimanche 07 avril 2024

Comment la Turquie peut éviter que la guerre ne s’étende au Liban

Comment la Turquie peut éviter que la guerre ne s’étende au Liban
  • Une présence turque accrue pourrait offrir une sortie en douceur au Hezbollah et à Israël
  • Israël ne frapperait pas un membre de l’Otan et la Turquie veillerait à ce que le Hezbollah n’utilise pas ses armes

Yoav Gallant, le ministre israélien de la Défense, a réitéré vendredi ses menaces contre le Liban à la suite de l’assassinat d’un officier du Hezbollah dans le sud du pays. Il a déclaré qu’Israël passait «de la défense à la poursuite du Hezbollah». Il a noté qu’Israël avait déjà tué plus de 320 membres du groupe, ajoutant: «Partout où nous devons agir, nous le ferons.»

Le Hezbollah est au pied du mur. Même s’il s’efforce d’éviter un affrontement d’envergure, le groupe pourrait s’y trouver impliqué. Alors qu’Israël s’attaque au groupe et pourchasse un à un ses membres, il n’aura peut-être d’autre choix que de riposter. Ce serait désastreux: Israël détruirait Beyrouth et le Hezbollah détruirait le nord d’Israël.

Au niveau régional, on assiste à une convergence: la Turquie se rapproche à la fois de l’Arabie saoudite et de l’Égypte. Erdogan s’est rendu en Égypte en février pour la première fois depuis plus d’une décennie et il s’est également entretenu avec Riyad au sujet de Gaza. Pendant ce temps, en novembre, Ebrahim Raïssi est devenu le premier président iranien à se rendre en Arabie saoudite depuis plus de dix ans après avoir rencontré le prince héritier du Royaume, Mohammed ben Salmane, et le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, lors du sommet de l’Organisation de coopération islamique, à Djeddah.

Tout le monde sait que, à Gaza, la coopération est nécessaire pour faire face aux calamités. Malgré la méfiance qui gangrène les relations régionales, il est nécessaire de s’unir afin d’affronter le danger imminent que Gaza représente pour toute cette partie du monde. Les États de la région ne veulent pas que la guerre s’étende au Liban.

Nous avons besoin d’une zone tampon. La Force intérimaire des nations unies au Liban (Finul) était censée l’établir, mais il s’avère aujourd’hui que cela ne suffit pas. Ici, la Turquie peut jouer un rôle, puisque la Finul dispose déjà d’un contingent turc. Cela pourrait être le point de départ d’une coopération militaire accrue entre le Liban et la Turquie. Une présence turque plus soutenue pourrait offrir une sortie en douceur au Hezbollah et à Israël. Israël ne frapperait pas un membre de l’Otan et la Turquie veillerait à ce que le Hezbollah n’utilise pas ses armes.

D’autre part, Ankara voudrait obtenir quelque chose en échange de la protection du Liban et, par défaut, de la protection du Hezbollah d’une destruction totale. Plus encore, une guerre signifierait la fin politique du groupe. Une guerre israélienne contre le Liban ravagerait le pays et entraînerait des répercussions terribles sur la région. La Turquie voudrait probablement une concession de la part de l’Iran sur la Syrie. Elle souhaite affaiblir Bachar al-Assad et rendre la Syrie plus sûre pour le retour des réfugiés. Les réfugiés syriens accueillis en Turquie sont à l’origine d’un problème intérieur, car leur présence est la source d’un mécontentement populaire croissant.

L’Iran chérit Al-Assad, bien sûr, mais pas autant qu’il valorise le Hezbollah. En réalité, la raison initiale de l’implication de l’Iran en Syrie était d’empêcher la chute du régime, qui aurait rompu ses liens avec le Hezbollah, le fleuron des Gardiens de la révolution islamique. L’Iran offre à Al-Assad son soutien indéfectible. Ce soutien iranien a empêché le président syrien de faire des concessions à l’opposition, raison pour laquelle les pourparlers de paix de Genève se sont révélés vains.

Le journal syrien Enab Baladi a rapporté le mois dernier que l’Arabie saoudite préparait actuellement une conférence qui réunirait Al-Assad et l’opposition afin de proposer une nouvelle Constitution pour le pays. Si les Iraniens font pression sur Al-Assad et qu’il accepte un règlement du conflit et une nouvelle Constitution, cela constituerait une victoire diplomatique pour l’Arabie saoudite. Ce serait aussi une manière pour la Turquie de consolider son rapprochement avec le Royaume.

L’Iran serait prêt à faire un tel compromis, car une guerre entre le Hezbollah et Israël porterait un coup fatal au groupe soutenu par Téhéran. La présence turque pourrait donc s’avérer nécessaire.

Les États-Unis pourraient également accepter un tel accord. La limitation de la capacité de manœuvre d’Israël au Liban serait la bienvenue dans les circonstances actuelles. Le gouvernement de Netanyahou, contrôlé par des extrémistes, devient un fardeau et une source d’embarras pour les États-Unis. Une zone tampon fonctionnelle faciliterait grandement la tâche de la Maison-Blanche consistant à dompter Benjamin Netanyahou et ses alliés d’extrême droite. Cela rendrait également plus simple la tâche de l’envoyé spécial américain, Amos Hochstein, de délimiter la frontière libanaise avec Israël, et obligerait tout le monde à respecter la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU sans recourir à la guerre.

Bien entendu, le Hezbollah n’apprécierait pas une présence turque dans le sud du Liban, car cela limiterait considérablement ses mouvements. Toutefois, entre la destruction totale et la présence des troupes turques, cette la seconde option qui pourrait être considérée comme un moindre mal. Comme je l’ai écrit plus haut, il serait extrêmement difficile d’inciter le Hezbollah à se retirer du sud, car le groupe est bien ancré dans la société. Ses membres y vivent. Le mieux est donc de s’assurer que le groupe ne se serve pas de ses armes. La Finul n’a pas pu garantir cela, mais une présence turque serait plus ferme.

«Les troupes turques pourraient s’assurer que le Hezbollah et Israël respectent les conditions de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU

Dr Dania Koleilat Khatib

D’un autre côté, la Turquie veillerait également à ce qu’Israël ne mène aucune opération au Liban. Les Israéliens ne voudraient pas être confrontées au drone turc Bayraktar TB2. Les troupes turques pourraient également s’assurer que le Hezbollah et Israël respectent les conditions de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU.

Cependant, pour que le Liban puisse conclure un quelconque accord avec la Turquie, il lui faut un gouvernement opérationnel. Un gouvernement intérimaire ne peut pas conclure un tel accord avec un autre État. Ici, le Hezbollah doit faire une autre concession: autoriser l’élection d’un président et la formation d’un gouvernement.

Le président et le gouvernement doivent être acceptés par la communauté internationale. Jusqu’à présent, le Hezbollah a insisté sur la candidature de Sleiman Frangié. L’Iran devra peut-être faire pression sur le groupe pour qu’il accepte un président consensuel. Téhéran veut à tout prix éviter une guerre totale. Même si l’Iran laisse au Hezbollah la liberté de gérer les affaires intérieures libanaises, il pourrait faire pression sur le groupe si sa sécurité est menacée.

Dans les circonstances actuelles, une présence turque au Liban pourrait être la meilleure option pour empêcher une attaque contre le pays. Elle servirait de zone tampon pour empêcher une escalade indésirable.

La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com