Un feu qui couve sous la cendre depuis des dizaines d'années

Des manifestants palestiniens se précipitent vers une ambulance lors d'une protestation contre les tensions à Jérusalem et l'escalade entre Israël et Gaza, près de Tubas, en Cisjordanie occupée par Israël, le 15 mai 2021. (Reuters)
Des manifestants palestiniens se précipitent vers une ambulance lors d'une protestation contre les tensions à Jérusalem et l'escalade entre Israël et Gaza, près de Tubas, en Cisjordanie occupée par Israël, le 15 mai 2021. (Reuters)
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Publié le Lundi 17 mai 2021

Un feu qui couve sous la cendre depuis des dizaines d'années

Un feu qui couve sous la cendre depuis des dizaines d'années
  • Les événements survenus au cours de ce dernier mois démantèlent le mythe de ces relations stables entre Israël et les Palestiniens
  • Il est ahurissant que le Conseil de sécurité des Nations unies n'ait pas réussi à adopter une résolution commune qui enverrait un message clair à toutes les parties impliquées, imposant un arrêt immédiat de la violence

Passez à la loupe toutes les actions entreprises par les deux parties qui ont déclenché la recrudescence des hostilités entre Israël et les Palestiniens, et vous tomberez sur un modèle de comportement bien connu et tragique. Toutefois, il s'agit cette fois-ci de l'une des rares occasions où toute une série de déclencheurs se sont entrecoupés et ont enflammé ce qui couvait sous la surface depuis des dizaines d'années.

La détérioration accélérée de la situation à Jérusalem et à Gaza trouve en effet ses racines dans l'impasse qui bloque le processus de paix et dans le statu quo illusoire fragilisé par l'instabilité des trois systèmes politiques engagés dans ce conflit, à savoir les Israéliens, l'Autorité palestinienne chargée de la Cisjordanie ainsi que le gouvernement du Hamas à Gaza. En l'absence de systèmes politiques performants et en présence de dirigeants présentant un déficit de légitimité à des niveaux divers, la situation risque de basculer à tout moment.

La tendance veut que l'on se focalise sur les événements qui ont déclenché les actes de violence, lorsque ceux-ci opposent Israël et les Palestiniens. Une fois que la situation reprend son cours normal, la tendance veut, dans ce cas, que l'on ferme les yeux sur les facteurs sous-jacents persistants qui ont entraîné une spirale incontrôlable. Les événements survenus au cours de ce dernier mois démantèlent le mythe de ces relations stables entre Israël et les Palestiniens. Ce mythe est particulièrement bénéfique pour Israël, mais il est également dangereux dans la mesure où il laisse croire, à tort, que l'occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, le blocus de Gaza ainsi que la relégation des Palestiniens-Israéliens au rang de citoyens de deuxième classe sont gratuits et peuvent perdurer à tout jamais.

 

Malheureusement, c'est le peuple de Gaza qui, dans le meilleur des cas, a été coincé entre un blocus israélien cruel et un gouvernement oppressif dirigé par le Hamas, qui doit à présent subir les bombardements massifs qui sèment mort et destruction et effacent les espoirs de voir la situation s'améliorer un jour.

Yossi Mekelberg

Une série de politiques et de mesures arbitraires adoptées par les autorités israéliennes et par le pouvoir judiciaire ont fait basculer cette situation explosive en une boule de feu qui a embrasé tous les points de friction entre Juifs et Arabes en Terre sainte. La succession d'événements violents qui a débuté à Jérusalem s'est ainsi amplifiée et étendue à Gaza et à d'autres endroits en Israël, et a atteint une intensité inédite depuis 2014. Cette intensité souligne néanmoins l'ampleur du défi à relever si l'on entend restaurer paix et calme dans cette partie du monde.

C'est la guerre entre Israël et le Hamas qui retient l'attention ces derniers jours. Toutefois, il est impossible de comprendre comment les décideurs en Israël ainsi que les forces de sécurité de ce pays ne se rendent pas compte que les tensions et les affrontements à Jérusalem, notamment l'entrée de la police et des soldats dans l'enceinte de la mosquée d'Al-Aqsa, pourraient fournir au Hamas les munitions nécessaires pour déclencher un nouveau cycle de violence. En effet, Jérusalem est le thème qui unit tous les Palestiniens et qui suscite de fortes émotions chez eux. Lorsqu'on ouvre cette boîte de Pandore, il est évident que les autres sujets de discorde et de contentieux entre Juifs et Arabes referont surface avec toute virulence. Évidemment, le Hamas attendait une occasion de s'affirmer à la fois vis-à-vis d'Israël et de l'Autorité palestinienne dirigée par le Fatah, même si cela infligerait des malheurs à la population de Gaza. Ce faisant, il a cependant démasqué les échecs absolus des stratèges israéliens en matière de perception, de renseignement et d'opérations. Il est parvenu à créer en l'espace de quelques jours une nouvelle équation qui unit les fronts de Jérusalem, de Cisjordanie et de Gaza et qui se révèle être un scénario intolérable pour Israël. Ce scénario explique, sans pour autant le justifier, les représailles excessives et disproportionnées d'Israël, surtout si l'on ajoute à l'équation un autre front d'affrontements sanglants entre Juifs et Arabes à l'intérieur d'Israël.

Ni le Hamas ni Israël ne gagneront la bataille militaire, mais on peut dire que le premier a remporté la bataille psychologique. Israël a sous-estimé aussi bien les capacités que les intentions de ce groupe islamiste militant. L'occasion offerte au Hamas et au Jihad islamique d'être perçus comme les défenseurs de Jérusalem et les derniers à poursuivre la lutte armée contre Israël au mépris de sa force militaire nettement supérieure est une chance qui dépasse leurs rêves les plus fous. Malheureusement, c'est le peuple de Gaza qui, dans le meilleur des cas, a été coincé entre un blocus israélien cruel et un gouvernement oppressif dirigé par le Hamas, qui doit à présent subir les bombardements massifs, semant mort et destruction et effaçant les espoirs de voir la situation s'améliorer un jour. Côté Israël, les tirs de roquettes qu'il a subis risquent de durcir davantage son attitude et de renforcer la droite politique, que ce soit dans le cadre des négociations menées actuellement pour former une coalition ou au niveau des élections générales qui pourront se tenir bientôt si ces pourparlers échouent.

Pour le moment, un cessez-le-feu est cruellement attendu dans un contexte où Israël continue à pilonner Gaza et à déployer ses troupes à la frontière, et où des centaines de roquettes continuent de tomber sur Israël. Mais à ce jour, la communauté internationale ne parvient pas à user de son influence pour mettre un terme aux hostilités. En effet, il est ahurissant que le Conseil de sécurité des Nations unies n'ait pas réussi à adopter une résolution commune qui enverrait un message clair à toutes les parties impliquées, imposant un arrêt immédiat de la violence. Aucune des parties ne trouve un intérêt réel à prolonger ce cycle interminable de mort et de destruction, mais toutes deux ont besoin d'une aide extérieure pour y mettre fin. Comme ce fut le cas dans le passé, une puissance régionale pourrait intervenir pour négocier un cessez-le-feu. L'Égypte, grâce au soutien actif de l'Arabie saoudite et d'autres pays du Golfe, y est parvenue dans le passé, et rien ne laisse présager qu'elle est incapable de le faire une fois de plus. Lorsqu'un cessez-le-feu est conclu, il convient avant tout de prendre des mesures immédiates concernant tous les sujets de discorde, afin d'éviter la reprise des hostilités.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et chercheur associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux écrits et électroniques.

Twitter: @YMekelberg

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com