Les présidents Biden et Macron invoquent La Fayette en plein dégel des relations franco-américaines

Emmanuel Macron et Joe Biden sur la pelouse sud de la Maison-Blanche à Washington, États-Unis, le 1er décembre 2022 (Photo, Reuters).
Emmanuel Macron et Joe Biden sur la pelouse sud de la Maison-Blanche à Washington, États-Unis, le 1er décembre 2022 (Photo, Reuters).
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Publié le Mardi 06 décembre 2022

Les présidents Biden et Macron invoquent La Fayette en plein dégel des relations franco-américaines

Les présidents Biden et Macron invoquent La Fayette en plein dégel des relations franco-américaines
  • Emmanuel Macron s’est rendu à Washington pour tenter de surmonter les défis auxquels fait face la relation bilatérale
  • Les États-Unis ne peuvent pas se permettre de couper leur cordon ombilical d’après-guerre avec l’Europe démocratique dans le climat actuel d’autocratie croissante

La relation américano-française n’est en aucun cas «privilégiée», mais les liens sont profonds. À deux reprises, les États-Unis sont venus en aide à la France face à l’agression allemande et la jeune république américaine a reçu le soutien de la France lors de sa rupture dramatique avec la Grande-Bretagne. Les deux camps ont donc leur lot d’expériences communes. À une époque plus récente, pendant la guerre froide, alors que l’Occident se mobilisait, les gouvernements socialistes successifs en France n’étaient pas d’accord avec Washington. Quand la France cherchait à façonner l’Union européenne (UE) pour contrer la puissance américaine, les deux parties ont de nouveau eu des points de vue différents en matière de politique, notamment à l’égard de la Russie.

La semaine dernière, cependant, plus d’un an après le rappel étonnant de l’ambassadeur de France à Washington, le président Macron s’est rendu dans la capitale américaine pour tenter de surmonter les défis auxquels fait face la relation bilatérale et de favoriser une concertation plus étroite sur les questions essentielles de politique étrangère.

Il s’agit de la première visite d’État sous la présidence de Joe Biden et de la deuxième d’Emmanuel Macron à Washington en quatre ans. Le privilège de ce voyage n’aura pas été vain pour le président français qui cherche à consolider les relations internationales de la France. Pour M. Biden, l’arrivée de son invité spécial est l’aboutissement de plusieurs mois de diplomatie prudente, alors que les États-Unis cherchent à renforcer leurs liens avec d’anciens alliés après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Plusieurs réunions en marge de conférences et de sommets internationaux, une série d’appels téléphoniques individuels et, plus récemment, des salutations personnelles à l’occasion du 80e anniversaire de Joe Biden ont préparé le terrain pour la visite, qui visait à mettre en évidence l’intérêt que le président américain accorde aux alliances fondamentales et sa vision sur l’importance des démocraties dans un monde éprouvé par les autocraties. Comme il l’a mentionné lors de sa campagne présidentielle, M. Biden considère M. Macron comme un exemple de succès démocratique dans un contexte de montée des forces populistes. Par ailleurs, il soutient que la France joue un rôle central, en sa qualité de plus ancien allié des États-Unis dirigé par un leader proactif sur la scène internationale.

Au moment où le Royaume-Uni est en proie à des troubles politiques et que l’Allemagne est à la dérive après le départ d’Angela Merkel, Emmanuel Macron – en tant que plus ancien dirigeant du Groupe des sept (G7) – est devenu la voix la plus importante d’Europe pendant la crise en Ukraine. Bien que la France ait auparavant eu une opinion différente de ses alliés dans sa volonté de s’engager auprès de la Russie, lors de l’élection présidentielle d’avril, les candidats de droite Marine Le Pen et Éric Zemmour ont dénoncé des liens étroits avec les États-Unis et l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), tout en promettant un rapprochement avec Moscou. Ce changement de discours a permis à M. Macron de renouer le dialogue avec les États-Unis selon ses propres termes, à la lumière de craintes selon lesquelles l’Otan et le projet européen au sens large sont menacés par un plus grand risque de désunion et de sentiment antiaméricain en raison de la montée en puissance des populistes.

S’étant positionné comme le leader de facto de l’Europe, Emmanuel Macron est au cœur des plans de Joe Biden pour coordonner les efforts visant à approvisionner l’armée ukrainienne et sanctionner la Russie pour son invasion, ce qui a provoqué une flambée des prix de l’énergie en Occident. À la suite des progrès récents de l’Ukraine sur le champ de bataille, les deux dirigeants sont en meilleure position pour envisager des négociations avec la Russie. Bien que les deux parties ne soient pas d’accord sur les conditions dans lesquelles M. Biden rencontrerait le président russe, Vladimir Poutine, la centralité renouvelée de l’Europe à la suite d’un désengagement sous les présidents Barack Obama et Donald Trump est évidente alors que Joe Biden cherche à rétablir les liens dans le cadre du 10e mois de la guerre en Ukraine.

Certes, la guerre en Ukraine n’est pas la question la plus importante pour les deux présidents. En plus d’être symboliquement significative pour remettre la relation transatlantique au centre de la politique américaine, la visite s’accompagne d’un besoin de collaborer sur des préoccupations plus larges. La sécurité européenne est au premier plan. M. Biden, comme ses prédécesseurs les plus récents, est un partisan de la nouvelle «architecture de sécurité» pour l’Europe à laquelle adhère M. Macron.

Sur le plan économique, la loi récente sur la réduction de l’inflation et les subventions massives qu’elle accorde aux industries américaines sont porteuses de protectionnisme pour une Europe en difficulté dans le climat économique actuel. Comme l’a dit le ministre français de l’Économie sur France 3 la semaine dernière, «la Chine privilégie sa propre production, tout comme les États-Unis. Il est peut-être temps que l’Europe privilégie, à son tour, sa propre production.»

La Chine, bien sûr, a été fréquemment mentionnée pendant le voyage, alors que les États-Unis et l’Europe cherchent à coopérer pour contenir les ambitions de Pékin dans l’Indo-Pacifique et qu’Emmanuel Macron prévoit de se rendre en Chine en 2023. Bien que les deux hommes ne soient pas d’accord sur le plan militaire après la formation par les États-Unis du groupement de défense Aukus avec le Royaume-Uni et l’Australie (dont la France était exclue), Joe Biden a cherché à resserrer les rangs avec Paris.

«S’étant positionné comme le leader de facto de l'Europe, M. Macron est au cœur des plans de M. Biden.» - Zaid M. Belbagi

Lorsque les deux dirigeants se sont rencontrés, ils ont évoqué, de manière prévisible, l’esprit de La Fayette, le marquis français qui a dirigé les troupes américaines dans plusieurs batailles phares de la guerre d’indépendance américaine. Ces deux alliés avaient clairement besoin de cette occasion pour aborder les tensions actuelles dans la relation transatlantique, notamment sur la politique étrangère, mais aussi les conséquences économiques du protectionnisme américain rampant. Toutefois, la dure réalité à laquelle ce voyage a peut-être tenté de remédier est que l’Europe ne peut pas compter indéfiniment sur les États-Unis pour sa sécurité. Alors que M. Macron fait référence à l’autonomie stratégique européenne, les décideurs à Washington sont las de se demander si une Europe plus indépendante soutiendra toujours les intérêts américains.

Bien que les administrations successives aient cherché à réduire leurs engagements en matière de défense européenne, les États-Unis ne peuvent pas se permettre de couper leur cordon ombilical d’après-guerre avec l’Europe démocratique dans le climat actuel d’autocratie croissante.

 

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com