Les responsables à Washington n’en sont plus à un euphémisme près pour exprimer leur perplexité face au gouvernement israélien actuel et à la personne qui le dirige.
C'est assez nouveau, et bienvenu aussi, que la critique des mesures antidémocratiques irresponsables du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, et de ses alliés ne vienne plus de sources prétendues anonymes, mais de source plus que sûre – en l’occurrence le président américain, Joe Biden, ou le secrétaire d'État, Antony Blinken.
Les désaccords entre Washington et Israël ne sont pas une première. Il y a eu des moments de crise précédents, notamment la demande du président Dwight D. Eisenhower qu'Israël se retire de la péninsule du Sinaï après la crise de Suez de 1956 ou la pression peu discrète du président Jimmy Carter sur le Premier ministre israélien, Menahem Begin, pour que l’État hébreu fasse des concessions nécessaires pour parvenir à un accord de paix avec l'Égypte en 1978. On peut aussi citer la menace de mesures financières si Israël n'arrêtait pas de construire de nouvelles colonies alors que les États-Unis concentraient leurs efforts sur la convocation de la conférence de paix de Madrid en 1991. Dans tous ces cas, comme dans d'autres, Israël a révisé son attitude en fonction du membre influent de cette proche alliance.
Cependant, lors de toutes les crises précédentes, aucune administration américaine n'avait remis en question les liens existant entre les deux pays, précisant clairement à chaque fois que ces désaccords étaient entre amis. Néanmoins, le président Biden et de très hauts responsables de son administration dénoncent désormais très clairement des tentatives d'affaiblissement du système judiciaire israélien, et leurs critiques remettent en question la nature même des relations entre les deux pays si Netanyahou. C'est là un changement fondamental dans l'approche américaine.
Par ailleurs, c'est autant la fréquence de la désapprobation que les mots employés pour l'exprimer qui caractérisent le fossé qui s'ouvre entre ces deux alliés sur les mesures susceptibles de compromettre la nature libérale et démocratique d'Israël. De plus, il semble que les dénonciations américaines visant Netanyahou et son gouvernement deviennent de plus en plus vives à mesure que les manifestations en Israël contre les réformes judiciaires prennent de l'ampleur, ce qui ne manquera pas de donner aux manifestants des motivations supplémentaires pour poursuivre leur juste lutte visant à protéger la démocratie de leur pays.
Le Premier ministre israélien ne cesse de répéter qu'il connaît bien Biden depuis plus de quarante ans, et que l'actuel occupant de la Maison Blanche est un ami de longue date d'Israël.
Deux faits réels, à cependant ne pas prendre pour acquis en ce qui concerne tout ce que dit Netanyahou ces jours-ci. Biden ne fait confiance ni à Netanyahou personnellement, ni à sa motivation pour adopter les mesures législatives défendues par son gouvernement. Le mois dernier, lors d'une conversation téléphonique entre les deux dirigeants, Biden a exhorté Netanyahou à rechercher un compromis sur les réformes judiciaires qu’il planifie, mais au lieu de tenir compte de cet avis, Netanyahou a annoncé le limogeage de son ministre de la Défense pour avoir indiqué qu'il suspendait ce projet de loi pendant quelques semaines, poussant ainsi des dizaines de milliers de personnes à descendre de manière spontanée dans la rue en signe de protestation.
Cela a été une autre indication claire que Netanyahou était prêt à mettre en danger la sécurité du pays en tentant de s’accrocher au pouvoir, mettant en danger non seulement les intérêts d’Israël, mais également les intérêts américains dans la région.
Biden ne fait confiance ni à Netanyahou personnellement, ni à sa motivation pour adopter les mesures législatives défendues par son gouvernement
Yossi Mekelberg
Netanyahou persiste dans ce comportement irresponsable tout en semblant ignorer qu'aucun pays n'est en mesure d'utiliser son influence sur Israël de la même manière que les États-Unis peuvent le faire, en raison des étroites relations unissant les deux pays.
En outre, il est devenu évident que l'administration Biden est prête à agir exactement de cette façon, et à faire pression pour qu’Israël préserve son système démocratique.
Lorsqu'on lui a récemment demandé si Netanyahou serait invité à la Maison Blanche, Biden a exprimé son insatisfaction à l’égard du gouvernement israélien en déclarant de façon claire et brève que ce ne serait «pas dans un avenir proche». Cela a non seulement constitué un camouflet diplomatique évident, douloureux et public pour Netanyahou, mais cela a également montré de manière limpide la différence entre l'approche américaine et celle de certains dirigeants européens, qui sont «heureux» d'accueillir Netanyahou, tout en exprimant du bout des lèvres leur désapprobation sur la voie antidémocratique qu’emprunte son gouvernement.
Le fait même qu'ils l'accueillent dans leurs résidences officielles réduit l'impact des réserves qu’ils expriment sur son comportement, et va dans le sens du discours de la droite israélienne selon lequel, indépendamment de la destruction de la démocratie israélienne ou de l’enracinement de l'occupation, le pays restera une partie du monde occidental démocratique et continuera à profiter des avantages qui en découlent, sans toutefois tenir compte de ses engagements.
En diplomatie, les apparences peuvent parfois être aussi puissantes, sinon plus, que les discours. En outre, comme me l'a dit un ancien haut fonctionnaire en Israël, tout ce que le monde dit ou pense de son pays est au mieux reçu poliment, mais n'est guère vraiment pris en compte. Cependant, ce n'est pas le cas avec Washington, sur lequel Israël compte pour sa sécurité et sa prospérité. Malgré quelques commentaires désinvoltes de certains milieux de droite en Israël appelant Washington à s'abstenir de commenter les affaires intérieures israéliennes et à «s'occuper de ses propres affaires», comme l'a dit un politicien israélien, ignorant commodément le soutien militaire, économique et politique substantiel que reçoit Israël de la part des États-Unis, Israël fait abstraction de Washington à ses risques et périls.
De plus, les États-Unis accueillent la communauté juive la plus importante et la plus solidaire d'Israël, dont la grande majorité vote démocrate. L'une des principales raisons de ce soutien indéfectible au fil des ans a été la nature libérale et démocratique d'Israël, et notamment son acceptation des différents courants du judaïsme. Mais tout cela est gravement compromis par un gouvernement messianique d'extrême droite au pouvoir, qui met en péril les liens du pays avec les Juifs d'Amérique.
Dans les préparatifs en vue du deuxième sommet annuel sur la démocratie du mois dernier, une initiative de l’administration américaine, Joe Biden a réaffirmé que «la lutte pour renforcer la gouvernance démocratique dans le pays et à l'étranger était le défi déterminant de notre époque. C'est parce que la démocratie – un gouvernement transparent et responsable du peuple, pour et par le peuple – reste le meilleur moyen de réaliser une paix, une prospérité et une dignité humaines durables».
Pour souligner le sérieux que voit l'administration à adhérer à ces principes, la Hongrie et la Turquie n'ont pas été invitées à ce sommet, alors qu'Israël et l'Inde l'ont été. On peut alors légitimement se demander pendant combien de temps les États-Unis pourront-ils se permettre, d'un côté, comme l'a fait le président Biden, d'exprimer leurs graves préoccupations face à la politique antidémocratique d'un gouvernement israélien qui ignore la volonté du peuple et continue de priver les Palestiniens vivant sous son occupation de presque tous leurs droits, tout en lui accordant par ailleurs un traitement préférentiel?
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.Twitter: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com