Conflit israélo-palestinien: l’échec de soixante-quinze ans de négociations

La secrétaire d'État américaine Hillary Clinton (C), le président Mahmoud Abbas de l'Autorité palestinienne (D) et le Premier ministre Benjamin Netanyahu d'Israël (G) discutent alors qu'ils relancent des négociations directes pour la paix au département d'État à Washington, DC, le 2 septembre 2010. (Photo de Jewel SAMAD / AFP)
La secrétaire d'État américaine Hillary Clinton (C), le président Mahmoud Abbas de l'Autorité palestinienne (D) et le Premier ministre Benjamin Netanyahu d'Israël (G) discutent alors qu'ils relancent des négociations directes pour la paix au département d'État à Washington, DC, le 2 septembre 2010. (Photo de Jewel SAMAD / AFP)
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Publié le Mardi 16 mai 2023

Conflit israélo-palestinien: l’échec de soixante-quinze ans de négociations

Conflit israélo-palestinien:  l’échec de soixante-quinze ans de négociations
  • En soixante-quinze ans, il y a eu le temps de discuter, de négocier, mais sans réelle volonté politique sérieuse, et pas uniquement parmi les parties au conflit
  • Un processus de paix doit être fondé sur des principes fondamentaux qui doivent inclure la fin de l'occupation israélienne, un règlement équitable pour les réfugiés et une solution respectant les droits des deux peuples

Pourquoi après tant d'années, tant de décennies, après tant de souffrances, la communauté internationale a-t-elle de manière si significative échoué à résoudre le conflit israélo-palestinien? C'est une question compréhensible, alors que les Palestiniens commémorent un bien triste anniversaire, celui des soixante-quinze ans de la Nakba, ou la «catastrophe».
Les résultats du sondage Arab News-YouGov sur les soixante-quinze ans de la Nakba mettent en évidence le pessimisme engendré par cette situation, la désillusion de la communauté internationale et le désespoir palestinien face à la possibilité d'une solution à deux États.
Pour les Palestiniens, la Nakba est un processus continu, dont ils souffrent encore, une oppression et une dépossession de la part d'Israël.
Alors pourquoi la paix est-elle été insaisissable? L'attention internationale a rarement été faible. Le Conseil de sécurité de l'ONU a débattu de cette question plus que de toute autre, adoptant des dizaines de résolutions. C'est l'Assemblée générale de l’ONU qui a opté pour la résolution de partage en 1947.
Depuis 1967, presque tous les présidents américains ont tenté de faire avancer des plans de paix. Les puissances européennes ont cherché à y jouer un rôle, et la Norvège a même eu la possibilité de négocier l’accord d'Oslo. Peu de conflits sur la planète ont suscité un tel intérêt. Ceux qui ont le malheur d'être pris dans d'autres guerres de longue durée doivent en être vraiment jaloux.
Non, le problème n'a jamais été la quantité, mais la qualité de l’attention. Il y a eu le temps de discuter, de négocier, mais sans réelle volonté politique sérieuse, et pas uniquement parmi les parties au conflit.
Dès le départ, les acteurs internationaux n'ont jamais compris la situation en Palestine, et pire encore, n'ont parfois même pas pris la peine de chercher à la comprendre. En remontant à 1917 et à la déclaration Balfour, il est à noter que ses auteurs n'avaient jamais visité le pays ni compris sa composition. Trop souvent, de nombreux politiciens ont pris la Bible comme guide et non la réalité sur le terrain.
Les mythes sionistes selon lesquels il s’agissait d’une terre sans peuple pour un peuple sans terre, qu'il s'agissait d'un David israélien contre un Goliath arabe, et que le savoir-faire israélien avait fait fleurir le désert, ont été trop aisément ingérés. Ayant emmené des dizaines de politiciens britanniques en Palestine ces trente dernières années, je ne cesse de m'étonner de voir à quel point ils sont choqués par une réalité qu'ils découvrent, en porte-à-faux avec ce qu'ils imaginaient.
Deuxièmement, de nombreux acteurs internationaux étaient au mieux dans l’ignorance, et avaient au pire un grand nombre de préjugés. Arthur Balfour lui-même était antisémite. Lloyd George était profondément antimusulman. Dès le début, une mentalité coloniale a fait en sorte que les Palestiniens n’ont jamais été traités comme un peuple avec des droits devant être honorés, situation qui persiste encore largement aujourd'hui.
De nombreux dirigeants européens ont tenté d'apaiser leur conscience par rapport au traitement épouvantable des Juifs en Europe, en cédant aux exigences sionistes en Palestine, quel qu’en soit l'impact sur la population arabe palestinienne. L'Allemagne en est une illustration spécifique, les dirigeants israéliens continuant de leur rappeler leur culpabilité historique pour ce qui s'est passé sous le régime nazi.
Troisièmement, le mouvement sioniste et les dirigeants israéliens ont très bien réussi à cibler les grandes puissances de l'époque. Cela a commencé avec l'Empire ottoman, puis les Britanniques, pour finir bien sûr avec les États-Unis. Les dirigeants palestiniens n'ont jamais eu les mêmes connexions, ni n’ont été aussi aptes à persuader ces dirigeants mondiaux. L'impressionnante opération de lobbying israélien aux États-Unis a particulièrement porté ses fruits après 1967, lorsque les États-Unis ont commencé à considérer Israël comme leur allié naturel au Moyen-Orient.
Aujourd'hui, toute personnalité politique américaine en devenir s'adresse au groupe de pression israélien Aipac et lui apporte habituellement un soutien sans faille.
En bref, Israël a toujours aimé être dépeint comme un acteur de bonne foi alors que c'est loin d'être le cas. Sous la présidence de Trump, les dirigeants israéliens pouvaient presque tout faire et étendre leurs colonies à volonté. Sous certains présidents moins indulgents, les dirigeants israéliens devaient parfois ralentir le rythme, mais rien de plus. Les États-Unis se sont engagés à ne rien proposer à la partie palestinienne sans l'avoir d'abord soumis aux dirigeants israéliens.
Le résultat est que les États-Unis ne sont pas et n'ont jamais été un intermédiaire impartial. Ce n'est pas étonnant. Le sondage Arab News-You Gov montre que la plupart des Palestiniens – environ 59 % – ne font pas confiance aux États-Unis comme médiateur. De façon assez remarquable, ce chiffre n'est pas plus élevé. D'autres puissances telles que la Russie et la Chine sont désormais considérées plus favorablement par les Palestiniens comme des intermédiaires potentiels.

Les dirigeants israéliens n'ont jamais fait d'offre sérieuse aux Palestiniens ni reconnu le tort qui leur a été fait. Les dirigeants palestiniens se sont aliéné des amis, et même leur propre peuple

Chris Doyle

Quatrièmement, les partisans des Palestiniens ont souvent été divisés. Alors qu'Israël a bénéficié d’un soutien important, trop souvent, les États arabes et d’autres pays se sont montrés trop facilement divisés et ont emprunté des voies divergentes. Certains pays comme l'Iran tentent d'utiliser la question palestinienne à leur propre avantage plutôt que de faire pression pour une résolution du conflit.
Le point culminant de l'unité arabe a été l'Initiative de paix arabe de 2003 qui appelait au retrait complet d'Israël des Territoires occupés en échange d'une paix totale. Malheureusement, cette offre n'a jamais été soutenue aussi fort et aussi loin qu'elle aurait dû l'être. L'enquête d'opinion Arab News-You Gov ne fait que souligner ces clivages. Les Palestiniens ne sont tout simplement pas sûrs des options futures, un reflet du sombre état des lieux. Seuls 51% sont en faveur d'une solution à deux États, ce qui n'est guère une approbation massive.
Cinquièmement, la pure asymétrie de ce conflit, la relation déséquilibrée entre Israël et les Palestiniens. Même en 1948, Israël était dans la position la plus puissante face aux armées arabes qui attaquaient. En 1967, il a écrasé les armées arabes en six jours. C'est une puissance nucléaire.
Pendant des décennies, il a été une superpuissance régionale, militairement, économiquement et diplomatiquement. Par contre, les Palestiniens vivent en grande partie en exil forcé ou sous occupation et blocus. Les Palestiniens ne peuvent contester Israël sur aucun front, sauf peut-être un – les obstacles juridiques, voire diplomatiques se dressant contre eux. Les revendications territoriales d'Israël ne font que croître et son rejet ne fait que s’enraciner.
Sixièmement, la communauté internationale a suspendu tout effort pour faire appliquer ses propres lois et résolutions en ce qui concerne Israël. Les résolutions du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale de l'ONU, la Quatrième convention de Genève et toutes les conventions des droits humains qu'Israël viole de manière routinière provoquent uniquement des déclarations passant de l'inquiétude à une condamnation réservée.
Même lorsque l'Assemblée générale de de l’ONU demande un avis juridique à la Cour internationale de justice sur la légalité de l'occupation israélienne qui dure depuis cinquante-six ans, les grandes puissances, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni, votent contre. Si les dirigeants israéliens savent qu'ils peuvent agir en dehors des limites des normes du droit international, pourquoi prendraient-ils la peine de venir à la table des négociations de paix avec des offres sérieuses?
Aucun des échecs de la communauté internationale ne devrait effacer ceux des parties au conflit elles-mêmes. Les dirigeants israéliens n'ont jamais fait d'offre sérieuse aux Palestiniens ni reconnu le tort qui leur a été fait.
Au fil des ans, les dirigeants palestiniens se sont aliéné des amis, et même leur propre peuple. Il leur manquait souvent une stratégie claire et réaliste. La scission entre le Fatah et le Hamas a été désastreuse.
Ceux qui, de tous bords, ont perpétré des actes de violence délibérés contre des civils n'ont fait que repousser les chances de paix. Faut-il s'étonner que ce sondage montre que plus de la moitié des Palestiniens de Cisjordanie ne font plus confiance à leurs dirigeants? En effet, 44 % d’entre eux, un chiffre important, affirme n’être représenté ni par le Fatah ni par le Hamas. Cela devrait donner matière à réflexion.
La communauté internationale doit reprendre ses efforts, mais dans un état d'esprit différent. Les États-Unis ont cessé de monopoliser le rôle d’intermédiaire, et permettent aux autres parties d'avoir leur mot à dire, ouvrant la voie à des solutions novatrices. Un processus de paix doit être fondé sur des principes fondamentaux qui doivent inclure la fin de l'occupation israélienne, un règlement équitable pour les réfugiés et une solution respectant les droits des deux peuples plutôt que de privilégier uniquement les Israéliens.

• Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding (Caabu) basé à Londres. Il a travaillé auprès de ce conseil depuis 1993 après avoir obtenu un diplôme spécialisé en études arabes et islamiques avec distinction honorifique à l'université d'Exeter. Il a organisé et accompagné les visites de nombreuses délégations parlementaires britanniques dans les pays arabes. Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com