Les répercussions de la guerre à Gaza sur la liberté dans les universités américaines

Des groupes et lobbyistes pro-israéliens tentent de justifier les agissements de l'occupation en limitant le débat sur les campus universitaires américains (Photo, AFP).
Des groupes et lobbyistes pro-israéliens tentent de justifier les agissements de l'occupation en limitant le débat sur les campus universitaires américains (Photo, AFP).
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Publié le Lundi 29 janvier 2024

Les répercussions de la guerre à Gaza sur la liberté dans les universités américaines

Les répercussions de la guerre à Gaza sur la liberté dans les universités américaines
  • De nombreuses personnes ont exprimé leurs craintes d’une nouvelle forme de maccarthysme sur les campus, alimentée par les médias traditionnels, les réseaux sociaux et des politiciens
  • La guerre à Gaza met à l’épreuve la tolérance réelle des universités envers la liberté d’expression, lorsqu’elles subissent la pression de politiciens, de membres de groupes de pression, ou de donateurs favorables à Israël

La guerre menée par Israël contre Gaza a eu un effet dévastateur sur la liberté d’expression dans le monde entier, mais surtout aux États-Unis. La liberté académique est menacée sur les campus à travers le pays en raison des restrictions sur les opinions opposées à la guerre. 

Cela a eu un effet dissuasif sur le débat public concernant la guerre, de nombreuses personnes exprimant leurs craintes d’une nouvelle forme de maccarthysme sur les campus, alimentée par les médias traditionnels, les réseaux sociaux et des politiciens, dans le climat exacerbé des élections américaines.

Lors de l’interrogatoire par le Congrès américain d’administrateurs universitaires de renom, le discours agressif dont ont fait preuve certains membres du Congrès a renforcé les craintes d’une nouvelle chasse aux sorcières à la McCarthy. Ils ont été sévèrement réprimandés pour ne pas avoir suffisamment agi pour étouffer les critiques anti-israéliennes. À la suite de leur humiliation publique, les présidentes des universités de Harvard et de Pennsylvanie ont été contraintes de démissionner.

La censure opérée sur ceux qui s’écartent de la ligne officielle israélienne est courante, notamment via des licenciements, des interdictions d’enseigner, des remontrances publiques et de campagnes de diffamation. Les voix critiques ont été largement victimes d'intimidation et de censure, accusées d'antisémitisme et soumises à des mesures disciplinaires, voire à des arrestations. Dans certains cas, de nouvelles mesures juridiques ont été adoptées pour réprimer davantage l’expression d’opinions anti-israéliennes, confondant les critiques légitimes de la politique israélienne avec l’antisémitisme, voire le terrorisme.

Il existe de nombreux exemples de membres du corps professoral ayant fait l’objet d’une enquête rapide, et parfois punis pour leurs déclarations sur la crise – souvent après s’être exprimés sur les réseaux sociaux ou dans les médias conventionnels, ou à la suite de l’intervention d’un donateur ou d’un homme politique important.

La guerre met à l’épreuve la tolérance réelle des universités à l’égard de la liberté d’expression, lorsqu’elles sont sous pression

Abdel Aziz Aluwaisheg

Le groupe américain Inside Higher Ed a examiné plus d'une dizaine de cas dans lesquels le discours d'enseignants avait été censuré, sanctionné, ou soumis à une enquête par des universités ou des associations professionnelles. La plupart de ces cas concernaient des personnes exprimant des opinions favorables aux Palestiniens, généralement en dehors des salles de classe, lors de manifestations ou sur les réseaux sociaux.

La guerre met à l’épreuve la tolérance réelle des universités à l’égard de la liberté d’expression, lorsqu’elles subissent la pression de politiciens, de membres de groupes de pression, ou de donateurs favorables à Israël. L’Academic Freedom Alliance a indiqué que «de nombreuses universités sont actuellement en état d’alerte concernant le discours des professeurs sur cette question particulière. Elles agissent rapidement parce qu’elles se savent surveillées par des groupes de pression et subissent parfois des pressions des donateurs et des politiciens».

Sous pression pour restreindre les opinions anti-israéliennes, le département américain de l'Éducation devrait élaborer des réglementations précisant a quel moment une université doit intervenir, sur le modèle du décret de l'ancien président Donald Trump de 2019, qui menaçait de retirer le financement fédéral aux universités ignorant l'antisémitisme sur le campus.

La campagne contre les voix critiques à l’égard d’Israël est alimentée par des médias pro-israéliens bien établis, des groupes nouvellement créés et des sites Web ad hoc, qui pointent fréquemment des individus et des organisations promouvant ce qu’ils considèrent comme des «opinions critiques» à l’égard d’Israël. Ils tiennent des bases de données de professeurs, d'écrivains et d'autres personnes accusées d'avoir des opinions défavorables sur la guerre contre Gaza, ou d'exprimer des opinions favorables à l'égard des Palestiniens. Ils traquent les voix critiques, les qualifiant «d’antisémites» ou de «haineuses» à l’égard d’Israël, et encouragent le harcèlement et l’intimidation de ceux dont ils donnent le nom. Il arrive même que des politiciens participent au harcèlement.

Faculty First Responders, un groupe financé par l’Association américaine des professeurs d’université (AAUP), surveille les sites Web qui parlent de l’enseignement supérieur, et propose une aide aux membres du corps professoral victimes d’attaques. Depuis octobre, il a documenté «une forte augmentation des attaques contre des professeurs exprimant leur solidarité avec la Palestine et émettant des critiques à l’égard de l’État d’Israël».

Irene Mulvey, présidente de l’AAUP, a déclaré: «Il ne fait aucun doute dans mon esprit que les violations de la liberté au niveau universitaire ont augmenté. Les incidents se produisent à un rythme alarmant alors que les professeurs maintiennent leur ligne de conduite et tentent d’amener leurs administrations à faire de même, en faveur de la liberté en milieu universitaire, dans cette période de polarisation.»

L’association a récemment publié une mise en garde sur les pièges des «définitions trop générales de l’antisémitisme», réitérant sa position de longue date sur le sujet. Elle a affirmé qu’elle «rejetait la caractérisation du discours propalestinien ou des critiques de l’État israélien comme étant invariablement antisémites… Ces mesures pour contrôler ce qui est pensé, dit, enseigné et objet de recherche, sont antithétiques à la mission éducative d’une université et aux valeurs démocratiques sur lesquelles elle repose».

Les politiciens américains portent une grande part de responsabilité, car ils expriment un soutien aveugle aux actions d’Israël à Gaza

Abdel Aziz Aluwaisheg

Les actions des militants antipalestiniens aux États-Unis font écho à ce que font les extrémistes en Israël même. Neve Gordon, juriste israélien et professeur des droits de l’homme et de droit humanitaire, vivant au Royaume-Uni, a récemment affirmé qu’il s’inquiétait des répressions importantes imposées à la liberté dans les universités aux États-Unis, en Europe et en Israël. Ses recherches portent sur les lois de la guerre, avec une attention toute particulière donnée à Israël et la Palestine, et sur les définitions de l'antisémitisme. Il a suivi l'impact de la guerre à Gaza sur la liberté d'expression dans les universités. Il a signalé plus de 100 cas en Israël d’étudiants et de membres du personnel suspendus de leurs fonctions ou licenciés, ainsi qu’au moins dix cas d’étudiants arrêtés pour avoir critiqué l’attaque israélienne sur Gaza.

Adam Shinar, professeur de droit à la Harry Radzyner Law School de l’université Reichman, a récemment écrit que les restrictions à la liberté d’expression en Israël, tant sur le plan officiel que non officiel, ont considérablement augmenté depuis le début de la guerre. Le gouvernement a réussi à créer un effet dissuasif, avec la simple expression de critiques – surtout lorsqu’elle est associée à de l’empathie envers les Palestiniens – étant assimilée à une trahison et déclenchant des interventions agressives, allant d’interrogatoires par la police, aux discours de haine et aux attaques sur les réseaux sociaux.

En Cisjordanie et à Gaza même, les mesures prises par Israël pour faire taire les voix critiques sont poussées à l’extrême. Le Comité pour la protection des journalistes, basé à New York, a rapporté cette semaine qu'au moins 83 journalistes et professionnels des médias ont été tués depuis le 7 octobre, tandis que des sources palestiniennes évaluaient ce nombre à plus de 100. Le comité s'est déclaré «particulièrement préoccupé par une tendance manifeste de l’armée israélienne à prendre pour cible les journalistes et leurs familles». Il a appelé Israël à mettre fin à cette impunité de longue date, dans les cas de journalistes tués par ses forces de sécurité.

Aux États-Unis, les groupes et lobbyistes pro-israéliens tentent de justifier les agissements de l'occupation, en circonscrivant le débat sur les campus universitaires américains. L’influence croissante des réseaux sociaux a facilité ce processus. Cependant, les politiciens américains portent une grande part de responsabilité, car ils expriment un soutien aveugle aux actions d’Israël à Gaza, encourageant ainsi les groupes extrémistes à mener une chasse aux sorcières contre des universitaires susceptibles d’avoir des opinions différentes.

Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe, en charge des affaires politiques et des négociations.
Les opinions exprimées dans cet article sont personnelles et n’expriment pas nécessairement celles du CCG.  

X: @abuhamad1        

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com