Le Liban, un pays d'exception qui a besoin d’une nouvelle vision

On ceinture de barrières métalliques la corniche de Beyrouth, habituellement très animée, au moment où le Liban entre dans sa première journée de confinement, le 14 janvier 2021. (AFP)
On ceinture de barrières métalliques la corniche de Beyrouth, habituellement très animée, au moment où le Liban entre dans sa première journée de confinement, le 14 janvier 2021. (AFP)
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Publié le Samedi 16 janvier 2021

Le Liban, un pays d'exception qui a besoin d’une nouvelle vision

Le Liban, un pays d'exception qui a besoin d’une nouvelle vision
  • Les nouvelles portant sur le confinement qui a été décidé la semaine dernière à Beyrouth ont rapidement fait le tour des médias sociaux
  • Une décision souveraine a été appliquée par la force dans une partie de la ville, mais ne pouvait être imposée dans une autre. Voilà le Liban d'aujourd'hui

Les nouvelles au sujet du confinement qui a été décidé la semaine dernière à Beyrouth ont rapidement fait le tour des médias sociaux. «Trente mandats d'arrêt ont été émis à Achrafieh, 90% des habitants de Beyrouth ont respecté cette décision, et l'armée a demandé aux magasins qui avaient ouvert leurs portes dans la banlieue de Dahyeh de se conformer à la décision de fermeture», indique le communiqué officiel.

Ce communiqué a été diffusé sur les médias sociaux dans la mesure où le nombre important de «mandats d'arrêt» dressés dans un quartier de la ville offrait un contraste saisissant avec la «demande de se conformer» exprimée dans un autre. En une seule phrase toute simple, et à un moment critique et délicat de l’histoire du Liban, une décision souveraine a été appliquée par la force dans une partie de la ville, mais ne pouvait être imposée dans une autre. Voilà le Liban d'aujourd'hui. 

C'est un aperçu intéressant qui décrit bien le contexte politique, social, sanitaire et sécuritaire du Liban. Ainsi, les autorités sont sélectives et c'est ce qui contribue à couler le pays. Si le Liban est en déclin, c’est parce que l'armée n’arrive pas à imposer son autorité dans les zones contrôlées par le Hezbollah, en dépit de l'état d'urgence annoncé par les autorités. Encore une fois, il est évident que le Hezbollah encourage à désobéir à tout ce qui est souverain en utilisant son arsenal militaire, ce qui compromet l'État et le bien-être des citoyens.

C'est justement là que commence et se répand la corruption. Le Hezbollah octroie ensuite cette autorisation aux chefs de clans qui sont proches de lui pour qu’ils puissent, à leur tour, contourner les décisions officielles. Ainsi, le Liban est un pays d'exceptions. Si, selon la célèbre expression, l'exception justifie la règle, au Liban, c'est «la règle qui justifie l'exception». Aujourd'hui, l'exception est le Hezbollah, qui sévit et qui détruit la souveraineté de l'État.

Ces exceptions n’ont de cesse de saper la souveraineté de l'État et le bien-être des citoyens. Par ailleurs, le secteur bancaire est la deuxième exception qui a conduit le pays au bord du gouffre; le terme «cartel bancaire» convient mieux à la situation. Il est désormais clair qu'au-delà de la crise sanitaire du Liban, la crise financière ne fera que s'aggraver. Nous nous attendons également à un haircut qui sera bientôt appliqué sur les dépôts en dollars américains. Toutefois, on ne sait pas encore qui assumera le plus lourd fardeau ni comment cette mesure sera appliquée. Ce jour approche à grands pas, car le rattachement au dollar est censé disparaître, surtout si l’on parvient à un accord avec le Fonds monétaire international. Ce détachement du dollar, qui n’est pas une mauvaise décision à long terme, fera augmenter le coût des importations et plongera les populations les plus fragiles dans une pauvreté encore plus aiguë. Sans des mesures complémentaires qui ne semblent pas à l’ordre du jour, on peut s’attendre à des conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire.

Cela signifie que la situation du Liban va empirer encore et que l’économie du marché noir se développera parallèlement à des accidents de sécurité plus importants. Il serait logique que l’autorité de l’État continue de s’éroder, d’autant plus qu’il ne pourra pas honorer ses engagements. Le chaos pourrait s'ensuivre mais, en attendant, il semble inéluctable que le contrôle du Hezbollah et de ses organisations criminelles se développe. Nous assisterons finalement au retour des divisions intercommunautaires dans le pays, chaque groupe protégeant ses intérêts.

Entre l'effondrement de l'économie et la propagation de la pandémie, les jeunes qui, au mois d’octobre 2019, s’étaient révoltés pour tenter d'apporter un changement ont été anéantis. On a réduit leur combat à des slogans et limité leur champ d’action à une opposition virtuelle sur les réseaux sociaux. Leur dernier slogan, qui déclare que le Liban est dirigé par une milice religieuse et une classe politique corrompue, ne décrit même pas le pays de manière exacte. Ce slogan exonère le Hezbollah, car il partage sa critique d’une classe politique corrompue, alors qu'en réalité cette dernière est un subordonné obéissant. Un slogan plus juste dénoncerait tout simplement le fait que le pays est occupé par une milice iranienne. Comprendre qu'il s'agit d'une occupation étrangère peut sembler dérisoire à ce stade, mais il est toujours important de le rappeler.

La simple action qui consiste à analyser et à présenter publiquement des solutions met en lumière cette opacité et la mauvaise gestion du gouvernement.

Khaled Abou Zahr

Alors que la situation s'aggrave, de nombreux Libanais brillants, dans le monde entier, présentent – simplement par amour pour leur pays – des idées intelligentes et exigeantes sur la façon dont on pourrait créer de nouvelles initiatives pour sauver le Liban. Ces concepts non sollicités vont de la mise en œuvre d'énergies renouvelables à des solutions pratiques pour sortir de la crise financière. Tous ces Libanais partagent le désir de rendre les processus plus efficaces et plus transparents dans leur pays. C'est exactement ce que le régime actuel refuse de voir, car il se nourrit d'opacité et de division; il ne prendra donc jamais ces idées en considération. Cependant, la simple action qui consiste à analyser et à présenter publiquement des solutions met en lumière cette opacité et la mauvaise gestion du gouvernement. Même si cela semble modeste, c’est très positif. 

Il est temps pour les Libanais du monde entier d’aller plus loin et de commencer à construire un cadre concret pour un nouveau Liban. Cela peut paraître irréaliste, mais c'est ainsi que l'on peut commencer à construire une nouvelle perspective. Il manquait aux jeunes qui se sont révoltés en 2019 ce cadre et cette vision politique, c’est pourquoi ils ont été écrasés.

Une vision politique dotée d’un cadre de gouvernance solide, même si elle n’existe que sur le papier, est quelque chose de réel que l’on doit viser et développer. Il doit s’agir d’un travail collaboratif qui associe les différents savoirs des esprits libanais, incluant les législateurs pour rédiger une nouvelle constitution, les experts économiques et commerciaux pour mettre en œuvre les politiques économiques et sociales, les designers et les architectes pour donner sens et profondeur à cette vision, et ceux qui souffrent pour dire ce dont ils ont besoin.

De même, un plan et une vision seraient le meilleur moyen d'obtenir du soutien et de créer une dynamique pour que les gens se rassemblent. Il est urgent de créer cette nouvelle feuille de route, même si ce n’est qu’un rêve lointain. Je suis fermement convaincu que, tôt ou tard, un Liban libre, souverain et indépendant émergera – un Liban qui respecte et protège tous ses citoyens, quelles que soient leurs croyances, et où tous les citoyens respectent et protègent leurs devoirs civiques. Les Libanais doivent aussi y croire. Des choses plus étranges se sont bien produites en 2020, alors pourquoi cela n’aurait-il pas lieu au début de l’année 2021?

Khaled Abou Zahr est PDG d'Eurabia, une société de médias et de technologie. Il est par ailleurs l’éditeur d'Al-Watan Al-Arabi.

Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com