Gaza et nous: Joindre la parole aux actes

De la fumée s'élève au-dessus de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, durant les bombardements israéliens, le 9 janvier 2024 (Photo, AFP).
De la fumée s'élève au-dessus de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, durant les bombardements israéliens, le 9 janvier 2024 (Photo, AFP).
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Publié le Vendredi 12 janvier 2024

Gaza et nous: Joindre la parole aux actes

Gaza et nous: Joindre la parole aux actes
  • Est-il dans notre intérêt de connaître la vérité sur ce qui se passe dans notre région, ou sommes-nous trop candides pour en supporter l’amertume?
  • En Irak, Téhéran mène une «guerre par procuration» locale par l’intermédiaire de ses milices, sous prétexte de venger Gaza

Est-il dans notre intérêt de connaître la vérité sur ce qui se passe dans notre région, ou sommes-nous trop candides pour en supporter l’amertume?

Mon sentiment, et j’espère me tromper, est que nous sommes trop candides et démunis pour faire face aux défis que 2024 nous apportera, surtout après ces derniers mois, qui nous ont révélé les intentions et les stratégies d’un grand nombre de parties.

La région du Proche-Orient évolue sous nos yeux, géographiquement et démographiquement, alors que nous sommes censés nous laisser distraire par les visites, les tournées régionales, et croire les déclarations diplomatiques que Washington et certaines capitales occidentales dégurgitent sans cesse. Entre-temps, certains des «trompés» et des «trompeurs» dans notre monde arabe et ses environs sont apaisés par des menaces creuses et une escalade verbale vide de sens.

Nombreux étaient ceux qu’inquiétait ce que dirait Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah libanais, après l’assassinat par Israël du haut dirigeant du Hamas Saleh al-Arouri ainsi que des membres de son entourage dans la banlieue sud de Dahieh, à Beyrouth, bastion du Hezbollah. Mais Nasrallah n’a rien dit de nouveau.

De plus, le Hezbollah fait avant tout partie intégrante de la stratégie iranienne. L’Iran, dont les dirigeants des Gardiens de la révolution menaçaient depuis longtemps et à plusieurs reprises du fait que «l’anéantissement d’Israël» soit à portée de main, prend encore son temps pour réaliser cet «exploit» qu’il promet – cela malgré les horribles conditions humanitaires que la machine israélienne a laissées dans la bande de Gaza au cours des trois derniers mois, qui ont coûté la vie à des dizaines de milliers de civils innocents.

Téhéran a confié la tâche des escarmouches et de l'expression verbale à ses supplétifs arabophones

Eyad Abou Shakra

Comme à l’accoutumée, Téhéran a délégué la tâche des escarmouches et de l’expression verbale à ses supplétifs arabophones. L’Iran a combattu et continuera de lutter pour renforcer son influence régionale – appelée «résistance» – en utilisant les corps des autres et en bâtissant sur les ruines de leurs nations et de leurs sociétés.

Bien entendu, Téhéran attend une récompense en retour. Il espère être, comme il l’a été depuis des décennies, inclus dans les règlements et les solutions qui seront imposés aux restes du Proche-Orient après que l’Occident aura remis à l’Iran toutes ses structures, les unes après les autres, sur un plateau d’argent.

En Irak, Téhéran mène une «guerre par procuration» locale par l’intermédiaire de ses milices, sous prétexte de venger Gaza. Entre-temps, Washington ne semble aucunement troublé, et Israël non plus… L’État irakien, l’identité irakienne et la souveraineté irakienne sont tous devenus des éléments qui appartiennent au passé.

En Syrie, les «lignes rouges» proposées par l’ancien président américain Barack Obama ont non seulement sauvé le régime, mais elles ont également renforcé l’hégémonie iranienne sur la capitale syrienne et sa «ceinture médiane», de la frontière irakienne, à l’Est, jusqu’à ce qui était autrefois la République du Liban, à l’Ouest. Aujourd’hui, le territoire syrien est divisé en sphères d’influence, en usines de drogue, en routes de contrebande d’armes. Il exporte en outre des conflits et de l’instabilité vers les pays voisins.

Au Liban, où «les décisions de guerre et de paix» sont prises par l’Iran, qui exerce son hégémonie financière et sécuritaire à travers le Hezbollah, l’alchimie du pays a changé, et sa situation s’est modifiée. Cela n’aurait pu être réalisé sans la «résistance», c’est-à-dire le plan de domination régionale de l’Iran. Sous couvert de cette «résistance», le Hezbollah conserve ses armes, contrairement à tous les autres partis et forces libanaises. Avec ces armes, il effectue des escarmouches, des manœuvres et des extorsions.

Les Houthis du Yémen jouent un nouveau rôle dans la ‘’guerre d’agitation’’ iranienne en mer Rouge

Eyad Abou Shakra

Aujourd'hui, après avoir approuvé la démarcation des frontières maritimes du Liban avec Israël, le Hezbollah attend l'arrivée de «l'ingénieur de démarcation» Amos Hochstein, envoyé spécial américain et coordinateur pour les affaires énergétiques internationales, afin de négocier la prochaine étape et de parvenir à un accord sur les frontières terrestres. Dans son dernier discours, Nasrallah n’a pas exclu une désescalade «si Israël arrête ses opérations à Gaza». Parallèlement à l'escalade de sa rhétorique, les échanges de tirs de roquettes et d'artillerie se poursuivent de l'autre côté de la frontière, dans les limites des prétendues «règles d'engagement», la plupart des sites israéliens ciblés ayant été évacués depuis un certain temps déjà. 

Sur la base de ce qui précède, les Houthis du Yémen jouent un nouveau rôle dans la «guerre d’agitation» iranienne dans la mer Rouge et près du détroit de Bab al-Mandeb.

Ce nouvel élément a accru l’importance de l’intervention internationale pour protéger le commerce maritime. Cela accroît également le besoin de «services» iraniens qui aideront Téhéran à obtenir sa part une fois la région divisée, surtout après qu’il a été affirmé que Téhéran n’avait pas l’intention de «détruire Israël.» Au contraire, les menaces de Téhéran au fil des ans ont renforcé le soutien politique et militaire expansionniste d’Israël, de même que le soutien politique et militaire des États-Unis à Israël.

Il y a quelques jours, des activistes pro-israéliens dans le domaine informatique m’ont attaqué sur X, m’accusant d’être un idiot pour avoir parlé du «croisement» des intérêts entre Tel-Aviv et Téhéran. Je n’en reste pas moins convaincu que les actes sont toujours plus éloquents que les mots.

L’administration Biden est pleinement consciente du fait que l’Iran n’a pas l’intention d’attaquer Israël. Elle s’est opposée à l’extension de la guerre pour déplacer la population de Gaza en un conflit régional parce que, premièrement, elle est d’accord avec Israël sur la nécessité de liquider la question palestinienne, et deuxièmement, elle veut maintenir le rôle régional de l’Iran au Moyen-Orient.

Ceux qui ont encore des doutes là-dessus devraient réfléchir à la situation des zones sous contrôle de Téhéran dans le Levant arabe – et se souvenir des paroles d’Obama: «Les Iraniens ne sont pas suicidaires.»

Eyad Abou Shakra est directeur de la rédaction d'Asharq al-Awsat

X: @eyad1949

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com