CONCORD: Les enfants d'un Libano-Américain, qui ont déposé une plainte ambitieuse l'année dernière alléguant que la Sûreté générale libanaise avait kidnappé et torturé leur père avant sa mort aux États-Unis, espèrent atteindre une issue favorable. L'organisme de sécurité visé a récemment été entendu par un tribunal américain.
Amer Fakhoury est décédé aux États-Unis en août 2020 à l'âge de 57 ans, après avoir souffert d'un lymphome de stade 4. Selon le procès intenté par sa famille, il aurait souffert de problèmes médicaux graves alors qu'il était emprisonné lors d'une visite effectuée au Liban, pour des accusations de meurtre et de torture vieilles de plusieurs décennies, qu'il a niées.
La détention de Fakhoury en 2019 et sa libération en 2020 ont marqué une nouvelle tension dans les relations entre les États-Unis et le Liban, pays en proie à l'une des pires catastrophes économiques au monde, pris en étau dans les tensions régnant entre Washington et l'Iran.
Des avocats de la Sûreté générale, ont récemment demandé à intervenir dans le procès, afin que soient levées les allégations portées contre l'organisme. Le Liban n’a pas été désigné comme défendeur dans le procès qui vise l'Iran.
La Sûreté générale et son directeur affirment être accusés à tort de «crimes graves d'enlèvement, de torture et de meurtre sous la direction ou avec l'aide d'organisations terroristes présumées».
L'avocat des Fakhoury, Robert Tolchin, a quant à lui demandé à un juge l'autorisation de poursuivre officiellement le Liban et l'Iran. Il a qualifié l'action du Liban au niveau de la réponse de la famille de «requête très étrange et inhabituelle déposée par une partie non prenante».
L’action en justice de la famille intentée à Washington en mai a d'abord fait valoir qu'il était possible de poursuivre l'Iran en vertu d'une exception à la Foreign Sovereign Immunities Act (loi sur l’'immunité souveraine des États étrangers), du fait que l’Iran soit désigné depuis 1984 comme un «État parrainant le terrorisme». Au procès, le Hezbollah, force politique et milice dominante au Liban, a également été qualifié d'«instrument» de l'Iran.
Téhéran n'a pour le moment pas réagi aux développements du procès. Le régime iranien a pour habitude d'ignorer les plaintes déposées à son encontre devant les tribunaux américains, que ce soit à la suite de la révolution islamique de 1979 ou de la crise des otages à l'ambassade des États-Unis. La mission iranienne auprès des Nations unies n'a pas non plus souhaité faire de commentaires.
De précédentes poursuites contre l'Iran ont cependant remporté des compensations financières, bien que le fait de toucher ce paiement puisse s’avérer compliqué. Toute compensation pourrait provenir du United States Victims of State Sponsored Terrorism Fund, qui distribue des fonds aux personnes détenues et/ou touchées par la crise des otages.
En ce qui concerne le Liban, Tolchin a déclaré que le procès des Fakhoury n'aurait aucun poids sans les allégations contre la Sûreté générale.
«Nous interprétons cela comme une renonciation à l'immunité souveraine», a-t-il déclaré à l'Associated Press (AP) à propos de la demande de la Sûreté générale. «Vous ne pouvez demander réparation sur le fond et en même temps prétendre être immunisé.»
Dans une déclaration communiquée à l'AP, David Lin, avocat de la Sûreté générale, a précisé que la position des Fakhoury selon laquelle «le Liban ou notre client ait en quelque sorte renoncé à l'immunité souveraine en cherchant à supprimer des éléments sans fondement de la plainte est incompréhensible et erronée en matière de droit».
Un juge a repoussé le délai imparti aux avocats représentant la Sûreté générale pour répondre à la demande des Fakhoury d’aller en justice avant le 26 janvier.
Mary Ellen O'Connell, professeur à la Notre Dame Law School, a déclaré qu'il serait probablement difficile d'intenter une action contre le Liban, qui n'est pas désigné comme «État parrainant le terrorisme».
«Il sera difficile de poursuivre en justice le Liban, du fait qu’il ne se trouve pas sur cette liste, contrairement à l'Iran», a-t-elle précisé.
O'Connell a également indiqué que la décision du Liban de rejeter les allégations «n'est généralement pas considérée par les tribunaux comme une renonciation» à l'immunité souveraine.
Fakhoury a été arrêté au Liban en septembre 2019, peu de temps après qu'il ait obtenu la nationalité américaine. Il s'était rendu dans son pays d'origine qu'il retrouvait pour la première fois en près de vingt ans. Une semaine après son arrivée, il été emprisonné et son passeport saisi, a raconté sa famille.
La veille de son arrestation, un journal proche du Hezbollah, groupe chiite soutenu par l'Iran, a publié un article l'accusant d'avoir joué un rôle dans la torture et le meurtre de détenus dans une prison dirigée par une milice libanaise soutenue par Israël pendant l'occupation israélienne du Liban, il y a deux décennies. Fakhoury était alors membre de l'Armée du Liban-Sud.
L'article le qualifiait de «boucher» du Centre de détention de Khiam, affirmant qu'il était connu pour ses violations des droits humains. La famille de Fakhoury a affirmé qu'il avait travaillé à la prison en tant que membre de la milice, mais qu'il avait peu de contacts avec les détenus. Lorsqu'Israël s'est retiré du Liban en 2000, Fakhoury a quitté le pays comme de nombreux autres membres de la milice qui craignaient des représailles.
À son retour au Liban en 2019, Fakhoury a été détenu pendant cinq mois avant d'être officiellement inculpé, a déclaré sa famille. À ce moment-là, il avait perdu une trentaine de kilos, souffrait d'un lymphome, et avait des fractures aux côtes, entre autres problèmes de santé graves, ont-ils précisé.
Dans sa demande d'intervention, la Sûreté générale a affirmé que Fakhoury n'avait pas été kidnappé, mais avait été «légalement détenu» à des fins d'enquête, puis «remis» à une autre institution chargée de poursuivre les crimes présumés. Elle a qualifié les allégations de «scandaleuses, irrespectueuses et préjudiciables».
Les accusations de la famille prétendent que les agents de sécurité auraient obligé Fakhoury à les regarder battre des prisonniers et l'ont gardé isolé dans une salle d'interrogatoire, où il a subi des violences verbales et physiques, avec un sac noir sur la tête. Fakhoury aurait également été menacé d'exécution s'il ne signait pas une déclaration affirmant qu'il était coupable des accusations mentionnées dans l'article du journal.
Finalement, la Cour suprême libanaise a abandonné les charges retenues contre Fakhoury. Il a été renvoyé aux États-Unis le 19 mars 2020 à bord d'un avion Osprey du corps des marines des États-Unis. Il est décédé cinq mois plus tard.
Le procès a également lié la mise en liberté finale de Fakhoury à la décision du gouvernement américain en juin 2020 de libérer Kassim Tajideen, un homme d'affaires libanais condamné à cinq ans de prison pour avoir fourni des millions de dollars au Hezbollah.
Le procès des Fakhoury a qualifié ceci d'«échange de prisonniers». Cependant, l'avocat de Tajideen et le Département d'État américain à cette période ont nié que c’était le cas.
Fakhoury est arrivé aux États-Unis pour la première fois en 2001. Il a ouvert un restaurant à Dover, dans le New Hampshire, avec sa femme, et a envoyé leurs quatre filles à l'université. Selon sa famille, le Liban était toujours sa patrie, même si d'autres membres de la milice à laquelle il appartenait avaient été pris pour cible dans les années qui ont suivi la guerre.
Dès 2018, Fakhoury avait demandé au Département d'État américain et au gouvernement libanais l'assurance de pouvoir se rendre librement au Liban. Il n'avait connaissance d'aucune accusation ou affaire juridique au Liban susceptible d'interférer avec son retour, a soutenu sa famille.
Après sa mort, les Fakhoury ont créé une fondation portant son nom, consacrée à l’aide aux familles des otages.
«Ce n'est pas seulement un combat pour nous», a déclaré Guila Fakhoury, l'aînée des quatre filles de Fakhoury, dans une interview sur le procès. «C'est un combat pour notre père et un combat pour chaque Américain détenu illégalement, et pour chaque personne détenue illégalement.»
L’action en justice demande des dommages et intérêts, ainsi qu’un procès devant un jury.
«Je sais que mon père ne reposera pas en paix tant que justice n’aura pas été rendue pour ce qu’il a subi», a déclaré Fakhoury.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com
Une famille veut poursuivre le Liban en justice pour l’emprisonnement du père décédé
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Une famille veut poursuivre le Liban en justice pour l’emprisonnement du père décédé

- Le père de famille aurait souffert de problèmes médicaux graves alors qu'il avait été emprisonné lors d'une visite effectuée au Liban
- L'avocat des Fakhoury, Robert Tolchin, a demandé à un juge l'autorisation de poursuivre officiellement le Liban et l'Iran
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